Engagement : des scientifiques de l’Université de Lorraine mènent une action surprise dans les jardins éphémères place Stanislas

Nancy (54) |

Une vingtaine de scientifiques de l’Université de Lorraine, du CNRS, ou d’INRAE, a décidé de s’inscrire dans une campagne de Scientist Rebellion/Scientifiques en Rébellion contre la tenue d’une 28ème COP, présidée par le PDG d’une compagnie pétrolière, fin novembre à Dubaï. Ces personnels scientifiques de Nancy ont investi le jardin éphémère place Stanislas le dimanche 22 octobre dernier inaugurant ainsi le lancement de cette campagne internationale.

Au sein de l’ESR (l’Enseignement Supérieur et la Recherche), l’actualité de ce second semestre a été marquée par trois faits importants concernant le devoir d’alerte, la prise de parole publique et l’engagement de scientifiques. Ces faits s’inscrivent naturellement dans un contexte d’aggravation très sérieuse et rapide des conditions de la vie sur terre, dégradation provoquée par l’intensité des activités humaines depuis notre entrée dans l’ère industrielle et technique.

Le comité d’éthique du CNRS (COMETS) a tout d’abord rendu un avis en juin 2023 intitulé "Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et chercheuses". Ce texte a le mérite de formuler explicitement que la notion de "neutralité" derrière laquelle peut se retrancher celle ou celui qui pratique une activité de recherche, est illusoire car "toute science est une entreprise humaine, inscrite dans un contexte social et, ce faisant, nourrie de valeurs". Il reconnait ensuite la liberté individuelle d’engagement (ou pas) des chercheur·se·s, et considère que son exercice assumé au sein d’un collectif apporterait des garanties positives (débat contradictoire et réflexion partagée, moindre exposition personnelle, portée des prises de position au sein de la sphère publique…). Il estime enfin que "le CNRS ne devrait ni inciter ni condamner a priori l’engagement des chercheurs et chercheuses, ni opérer une quelconque police des engagements", inaugurant ainsi une forme de protection du lanceur d’alerte, en particulier s’il ou elle mène "des actions de désobéissance civile".

Pratiquement au même moment, le collectif "Scientifiques en rébellion" (déclinaison en France du mouvement international Scientist Rebellion) a produit et publié un « manifeste pour la liberté d’engagement des scientifiques ». Il a été signé par plus de 2000 chercheurs et chercheuses qui revendiquent explicitement l’exercice de la liberté justement discutée par le COMETS. Ce texte rappelle comment les travaux scientifiques documentent depuis des décennies le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, analysent ses causes et ses conséquences, et tentent de partager ces résultats avec le plus grand nombre, satisfaisant ainsi à deux missions de la science : contribuer à construire des connaissances et les partager avec la société. Or ce travail est resté largement vain : les connaissances produites seules ne permettent ni d’infléchir les politiques ni de garantir la qualité d’information des populations sur les enjeux qui les concernent. Face à l’instrumentalisation du doute par des lobbyistes industriels, face aux pressions subies parfois par les collègues ne faisant que répondre à leur devoir d’alerte, le texte en appelle « à la communauté scientifique dans son ensemble, et notamment les corps intermédiaires que sont les sociétés savantes et les instituts, [pour qu’ils] se positionnent massivement pour défendre l’engagement des chercheur·se·s comme un des piliers de leur liberté d’expression ».

Enfin, la multiplication en France mais à l’étranger aussi, de décisions gouvernementales niant précisément cette accumulation de connaissances, de propos de la sphère politique mâtinés de néolibéralisme et contrevenant à la rationalité (climato-scepticisme et opposition d’opinions), de soutiens incohérents des gouvernements à des projets écocides en contradiction avec les engagements pris face aux peuples des nations (COP21 de Paris par exemple et l’engagement à limiter le réchauffement à +1,5°C) a poussé à l’engagement de nombreux scientifiques dans la sphère médiatique, y compris des personnalités de renom engagées dans des formes institutionnalisées d’appui aux politiques publiques. Des chercheuses et chercheurs spécialisé·e·s sur les questions du climat (membres du GIEC), de biodiversité (membres de l’IPBES), de l’acidification des océans… ne se contentent plus de participer à l’élaboration de documents de synthèse mais sortent des laboratoires pour porter haut et fort les prédiction, maintenant très sûres, établies par les données et simulations scientifiques les plus récentes (6ème rapport du GIEC). Ainsi en est-il, pour ne citer qu’une scientifique originaire de Nancy, de Valérie Masson-Delmotte, membre du Haut Conseil pour le Climat, qui est allée très récemment jusqu’à monter dans les arbres au côté de Thomas Brail dans le combat mené par de nombreuses organisations militantes pour l’arrêt du projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

Cette question de l’engagement du scientifique sur les problématiques soulevées par la société civile travaille évidemment une part croissante de chacun·e d’entre nous. C’est dans ce contexte qu’une vingtaine de scientifiques de l’Université de Lorraine, du CNRS, ou d’INRAE, a décidé de s’inscrire dans une campagne de Scientist Rebellion/Scientifiques en Rébellion contre la tenue d’une 28ème COP, présidée par le PDG d’une compagnie pétrolière, fin novembre à Dubaï. Ces personnels scientifiques de Nancy ont investi le jardin éphémère place Stanislas le dimanche 22 octobre inaugurant ainsi le lancement de cette campagne internationale. D’autres actions suivront dans d’autres villes de France jusqu’à la COP alternative qui se tiendra à Bordeaux début décembre. Le mot d’ordre y sera d’alerter sur le caractère anesthésiant de cette conférence annuelle entre nations au regard des décisions essentielles qui devraient être prises sans attendre pour tenter d’atténuer les dérèglements en cours. A Nancy, une semaine après la fête de la science, alors que se tenait dans les salons de l’Hôtel de Ville une fête du climat et de l’énergie (!), ces scientifiques rebelles ont ainsi profité du magnifique jardin éphémère créé par les jardiniers de la ville pour y défendre un discours alternatif. Celui d’abord du constat d’une "Défête de la Science", manifeste si l’on en juge d’une part le peu de cas que les systèmes politiques actuels lui accordent, et, d’autre part, la responsabilité d’une partie de la science pénétrée par les lobbies industriels et déployant un argumentaire basé sur un technosolutionnisme nous rapprochant au contraire de l’insoutenable. Celui aussi qui discute d’un autre avenir possible, pouvant être imaginé par des communautés humaines qui reprendraient une forme d’autonomie sur leurs territoires, un avenir qui se construirait sur la voie de la décroissance, de la protection de communs (sols, eau, espaces naturels…) et respecterait un pacte renouvelé et opérant de justice sociale et environnementale.

L’université doit être un des lieux de cette discussion et métamorphose. Nous invitons tous les collègues désireux d’y contribuer à nous rejoindre.

Scientists Rebellion/Scientifiques en Rébellion de l’Université de Lorraine

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P.-S.

Pour contacter Scientifiques en Rébellion Grand Est : serge.contact arobase proton.me