Deux ans après les perquisitions, où en est l’enquête sur l’interdiction d’Indymedia Linksunten ?

Freiburg im Breisgau (DE) |

En septembre 2017, Indymedia Linksunten était interdit par le ministère de l’Intérieur allemand, perquisitions et montage policier à l’appui. Retour sur l’histoire, le contexte, les dossiers d’enquête ainsi que sur la bataille juridique menée depuis le collectif de soutien et la legal team Freiburg EA.

Ce texte est la retranscription pour le site mutu dijoncter.info d’un exposé sur les poursuites judiciaires qui ont entrainé la fermeture du site d’information alternatif allemand Indymedia Linksunten. Cette présentation, organisée par la legal team « Freiburg EA », avait lieu à Freiburg à l’occasion des « squatting days », 10 jours de culture autonome qui célébraient les 25 ans du centre autonome KTS.

Naissance du réseau Indymedia

Les années 90 ont été marquées par les débuts d’Internet, qui est venu faciliter la communication dans les réseaux activistes. Le travail entre les mouvements radicaux et les médias « mainstream » avait toujours été difficile, l’arrivée Internet a donc facilité les choses pour les activistes. Dans les « médias mainstream », les infos sur les mouvements sont souvent peu détaillées, et peu objectives. Elles sont comme des produits dans des médias qui les gèrent en entrepreneurs. C’est une poignée de gens qui décident de ce qui va être communiqué, et les infos sont choisies par rapport a des buts commerciaux. On est loin de l’objectivité que ces médias prétendent nous vendre.

Jusqu’alors, les mouvements radicaux avaient déjà leurs propres médias, radios pirates, brochures, échanges de vive voix... Dans les années 90, Internet a commencé à se démocratiser et les mouvements s’en sont donc emparé, mais peu de gens y avaient accès et il y avait encore peu de sites. En juin 1999, lors du carnaval contre le capital pendant le G8 de Cologne [1] la mobilisation avait été organisée depuis des listes mails et il y avait eu des actions dans plus de 40 pays. Indymedia apparut sur Internet quelques mois plus tard, en novembre 1999. Le sommet contre la réunion de l’OMC à Seattle a été la première mobilisation appelée par ce réseau et ce fut un succès avec des manifestations de 40 000 personnes qui ont bien réussi à bloquer le sommet.

Indymedia fonctionne en « open posting » : Tout le monde peut « poster », personne ne censure, et le réseau n’est pas construit hiérarchiquement. Bien sûr, il y a quand même des critères de modération. Il y a des personnes qui s’occupent de l’infrastructure technique et des gens qui gèrent la modération. C’est fait pour le mouvement et par le mouvement, donc par des gens qui sont eux aussi actifs. Une des forces de ce modèle c’est qu’il est décentralisé. Aux Etats-Unis par exemple il y avait des gens de plein de villes différentes, en France aussi, mais en Allemagne, pendant longtemps il n’y avait qu’un site pour tout le pays, jusqu’à la création de Linksunten en 2008.

Création de Linksunten

Les sites des mouvements étaient souvent créés pour des occasions précises et pour Linksunten ça a été le sommet de l’OTAN de Strasbourg en 2009. Il y avait aussi plein d’autres raisons, dont le besoin d’un média pour les luttes locales « en bas à gauche » [2], un média local et décentralisé du reste de l’Allemagne.

Il y a eu une scission avec Indymedia Allemagne, qui était très peu dynamique à cette époque et dont les critères de modération ne convenaient pas. Par exemple, sur Indy Allemagne, la modération ne voulait pas qu’il y ait d’outing [3] de nazis ou d’autres, et on pouvait faire des ajouts mais pas de commentaires.

À la base, Linksunten venait d’un collectif anar’ mais il est rapidement devenu le site le plus utilisé par la scène de gauche [4] en Allemagne. Il était plus conséquent que d’autres plateformes. Il y avait des recherches, des reportages, des événements, des actions revendiquées, des « outings fascistes », des appels, des annonces. Il y avait aussi de la théorie et plein de discussions. Par exemple, après le G20 de Hambourg il avait beaucoup de discussions sur le sens de telle ou telle action. Il y avait aussi de nombreux communiqués sur la répression.

Un élément essentiel de Linksunten, c’était ses contenus très divers et variés. Il y avait des dizaines de publications tous les jours. Les communiqués d’action pour avoir pété des trucs n’en étaient qu’une petite part et il y avait bien souvent des controverses et plein de débats politiques suite à ces publications. C’est pourtant le point sur lequel les autorités ont tiqué : le fait que des gens revendiquent leurs actions.

Qui a utilisé ce site ? C’est bien sûr le mouvement des gens de « gauche », mais les médias ont aussi beaucoup utilisé ce site comme source d’informations, c’était bien pratique de les trouver en ligne. Voilà quelques exemples :

  • Il y a aussi l’histoire des corporations étudiantes (frateries étudiantes en Allemagne) dont Deutsche Burschenschaft (DB) qui sont aussi des gros fachos [5]. Leurs archives ont été publiées sur Linksunten, puis reprises par d’autres médias ce qui a accéléré leur chute.

La fermeture du site

Le 24 août 2017 au matin, plusieurs perquisitions ont lieu. La décision était prise depuis quinze jours sur l’interdiction du site et de son contenu. Cette décision a été remise le matin à 5h55 aux personnes inculpées, pendant que 400 flics débarquaient à Freiburg.

Voilà le détail du contenu de l’interdiction :

  • interdiction de mettre à disposition le site
  • interdiction d’utiliser le symbole d’Indymedia
  • confiscation du capital et des moyens matériels de cette association

L’ argumentaire

Les autorités ont utilisé le droit des associations, qui n’est pas du droit pénal mais du droit administratif. Une association en Allemagne c’est un groupement d’au moins trois personnes qui se retrouvent dans un intérêt commun. Avec le droit associatif, c’est assez simple d’interdire des assos si leurs pratiques et leur buts ont un aspect pénal (côté gauche, cela a surtout concerné les groupes et assos kurdes). La ruse utilisée par le ministère de l’intérieur a consisté à dire qu’il y avait souvent eu des publications illégales sur Linksunten. Le but était de donner du crédit à leur opération, dans l’idée que le fait de parler d’un délit serait aussi un délit.

L’opération a été diligentée par le Ministère de l’Intérieur qui a déclaré que les publications d’Indymedia Linksunten n’étaient « pas de la liberté d’expression mais des opinions qui vont contre la dignité ». Ils ont affirmé que cette association était pleine d’inimité pour l’ordre constitutionnel, que son attitude de base était anticonstitutionnelle. Linksunten était un média hétérogène mais le ministère de l’intérieur a ignoré tout ce qui n’était pas d’ordre pénal, les appels à manif, les rassemblements, les recettes de gâteaux vegan...

Il y a une loi qui régit la liberté de la presse et on ne peut pas interdire un organe de presse comme ça. Cette loi met la barre très haut en terme de protection de la liberté de la presse et il existe une institution dédiée. En règle normale, si un article pose problème, on demande simplement au média de le supprimer mais on n’interdit pas le média.

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Notes

[1L’évènement est devenu connu sous le nom de J18.

[2« Linksunten » en allemand, qui désigne à la fois la position politique et l’implantation géographique du site en Allemagne

[3Pratique qui consiste à dénoncer publiquement une personne, un groupe, en donnant des noms, des coordonnées... C’est comme un « coming out » mais sans le consentement des personnes concernées.

[4En Allemagne cette expression désigne largement le milieu radical : anarchistes, autonomes, communistes radicaux, etc.

[5Créées au 19ème siècle, c’est un mouvement souvent anti-monarchiste et républicain nationaliste qui a progressivement viré vers la droite, le conservatisme nationaliste et le fascisme allemand. Ces corpos existent sous de nombreuses formes comme des groupes de chants, de sport… et constituent une élite académique de plus en plus liée aux élites industrielles et/ou chrétiennes allemandes et autrichiennes. Presque toutes en non-mixté mecs, elles se battent de manière facultative ou obligatoire aux sports d’épée et d’alcoolémie. Elles cultivent leurs traditions, se rassemblents sous leurs différentes bannières, généralement dans les villas de leurs futures entreprises. Mysogines, hiérarchiques et autoritaires, des ennemis finis de la liberté depuis bientôt deux siècles.


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