De la disruption néolibérale et autoritaire appliquée à l’université



Depuis novembre 2018, le gouvernement a décidé de mettre en œuvre une mesure inique : la hausse des droits d’inscription pour les étudiant∙es étranger∙es hors Union européenne – à quelques exceptions près (Suisse, Québec).

Les chiffres ont été diffusés et sont connus : les frais d’inscription en licence et master passent respectivement de 170 € et 243 € à 2770 € et 3770 €, le montant des cinq années de la L1 au M2 passant grosso modo de 1000 € à 16.000 €. Le cynisme du dispositif est résumé par son appellation officielle : « Bienvenue en France. » Sans rire.
Que cela soit sur le fond ou sur les méthodes, on rencontre ici un condensé de la politique macroniste : libéralisme, racisme, mensonges et autoritarisme.

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Libéralisme. Sur le fond, il s’agit de poursuivre la bascule d’un modèle démocratique et universaliste à une organisation libérale et privée de l’enseignement supérieur. Les étapes ont été décrites à l’avance dans le processus de Bologne, il y a deux décennies, et l’affaire suit son cours. En France, après l’autonomie de gestion des universités (loi LRU, en 2007), le management sur projets et l’asphyxie financière des établissements orchestrés par les gouvernements successifs, on assiste à la mise en place de filtres à l’entrée : Parcoursup et loi ORE, l’an dernier, pour sélectionner les bachelier∙es sur leur niveau, hausse des frais d’inscription pour les étudiant∙es étranger∙es, cette année, pour introduire la sélection par l’argent. Mais on sait aussi, parce que la Cour des comptes en indique explicitement l’objectif, que cela ouvre la voie à une hausse généralisée des frais pour toutes et tous. Il s’agit de passer d’une université financée par la collectivité à des études payées par l’endettement étudiant : le modèle néolibéral anglo-saxon, pour le plus grand bonheur des banques.

Racisme. Concrètement, celles et ceux qui sont les premier∙es visé∙es aujourd’hui par la mesure sont les jeunes issu∙es de la classe moyenne de différents pays d’Afrique, notamment des anciennes colonies françaises. Le gouvernement aimerait attirer des étudiant∙es étranger∙es, mais si possible des enfants de millionnaires, dont on sait pourtant que les familles préféreront toujours payer des études aux États-Unis ou en Grande-Bretagne… Il s’agit bien d’une mesure ciblée contre les étranger∙es les moins riches, autrement dit d’un racisme social à peine déguisé. Mais à celles et ceux qui contestent le racisme du dispositif, la ministre Frédérique Vidal a pris l’habitude de répondre que ce sont les contestataires qui sont racistes quand ils prétendent que les Africains sont pauvres. L’abjection de ces gens-là n’a pas de limite.

Mensonges. Depuis que la mesure est annoncée, elle a eu comme on pouvait s’y attendre un grave impact sur les candidatures des étudiant∙es étranger∙es souhaitant intégrer des formations universitaires en France. Mais le ministère a minimisé la baisse du nombre de dossiers, en truquant grossièrement les chiffres, allant jusqu’à annoncer des augmentations du nombre de candidatures alors que celui-ci a diminué d’environ un tiers et, pour certains diplômes, de façon dramatique (division par dix ou plus). Le 1er avril 2019, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère des Affaires étrangères ont modifié les règles sur la plateforme Campus France, où candidatent les étudiant∙es étranger∙es, à la seule fin de gonfler artificiellement les chiffres des dossiers soumis. Quand ils sont directement interpellés, la ministre et ses conseillers mentent comme des arracheurs de dents. À l’image de Macron ou Benalla, la bande au pouvoir n’a rien à envier à Trump ou d’autres promoteurs des fake news.

Autoritarisme. À l’heure où nous écrivons, le 8 avril, le dispositif n’est toujours pas officialisé par la publication d’un décret. Comme pour Parcoursup, il a d’abord été implémenté sur les plateformes ministérielles, ici sur Campus France, ensuite seulement la consultation des instances habituelles a été lancée. Évidemment, le projet n’est pas bien passé : étudiant∙es étranger∙es ou non, personnels attaché∙es à l’ouverture de l’enseignement supérieur, enseignant∙es redoutant directement la fermeture de certaines formations… les réactions ont été nombreuses, avec des manifestations de rue, mais également des actions dans le cadre de l’université : motions de conseils de composantes, grèves administratives, etc. Quand le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), l’instance nationale qui représente un peu tout le monde universitaire, a finalement été consulté, le 11 mars, le verdict a été très net : rejet du projet ministériel par 63 voix, avec seulement 3 voix pour et 2 abstentions. Près de vingt universités, la conservatrice Conférence des présidents d’université, des élus de droite et de gauche se sont élevés publiquement contre le dispositif. Mais rien n’y fait. Venue à Nancy inaugurer un laboratoire le 5 avril, la ministre Vidal est restée droit dans ses bottes face aux nombreux∙ses opposant∙es qui arboraient un carré rouge, symbole du rejet de sa mesure. D’après son jeune conseiller Graig Monetti, par ailleurs promoteur d’une école privée à plus de 8000 € l’année, le décret passera pendant les vacances.

Quand les gouvernants en sont à piétiner ainsi tout sur leur passage, la justice sociale, la vérité, le peu de démocratie formelle qui survit dans les institutions… ils font finalement œuvre de pédagogie : si la négociation et la demi-mesure n’ont plus de place, c’est qu’il faut en passer par un grand renversement.

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Article paru dans RésisteR ! #61, le 13 avril 2019.