Article publié à l’origine sur lille.indymedia.org
Stop le nucléaire – Stop Cigéo !
Il y a vingt ans, le militant Sébastien Briat, alors âgé de 22 ans, mourait à la suite d’un tragique accident de train tandis qu’il tentait, avec d’autres, de bloquer un convoi de déchets nucléaires parti de la Hague en direction du centre de stockage allemand de Gorleben.
Lui et son groupe comptaient employer la technique dite du « lock-on » et s’attacher aux rails afin d’empêcher le train de circuler. Des circonstances malheureuses ont empêché la bonne communication avec un autre groupe d’activistes placé en amont (le « groupe de sécurité ») et le conducteur du train n’a pas été averti que des personnes se trouvaient sur les voies. Par ailleurs, il a été prouvé que le train roulait bien plus vite qu’il n’aurait dû, afin de rattraper le retard occasionné par de précédents blocages. Les opérateurs du transport avaient visiblement choisi d’ignorer ou de ne pas respecter plusieurs normes de sécurité. Ainsi, en plus de sa vitesse excessive, le train n’était plus accompagné du dispositif policier habituel qui aurait permis de donner l’alerte.
À l’arrivée du convoi, le groupe d’action n’était pas enchaîné mais se trouvait à proximité immédiate de la voie. Sébastien a été happé par le train et a succombé à ses blessures sur les lieux de l’accident.
Pour une commémoration digne de Bichon
Il existe des points de vue très différents sur cet événement tragique. L’accident a eu des conséquences nombreuses, notamment pour les personnes concernées par cette action et les proches de celui que tous ses ami.es appelaient « Bichon ». Nous aussi, qui avons préparé et mené l’action de ces derniers jours, portons des regards très différents sur ce qui s’est passé le 7 novembre 2004 à Avricourt. Cependant, nous nous retrouvons sur un point : cet événement dramatique fait partie de notre une histoire commune. Car la mort de Sébastien ne laisse pas seulement une blessure profonde à sa famille, à ses ami.es et à toutes celles et ceux qui le connaissaient personnellement : elle marque aussi le traumatisme collectif de toute une génération de militants antinucléaires français et allemands.
L’accident a entraîné de vastes discussions au sein du mouvement et a eu une forte influence sur son évolution. Nous sommes convaincus qu’il était, qu’il est et qu’il sera toujours juste de s’opposer aux transports nucléaires mortels. Mais pouvons-nous prendre la responsabilité de nous livrer sans protection à un adversaire pour qui nous savons que les vies humaines ne valent rien ? – nous parlons tout de même d’une industrie qui accepte chaque jour la destruction potentielle de tous les fondements de la vie sur notre planète. Même après tant d’années, nous n’avons pas de réponse unanime à cette question.
Même si la plupart d’entre nous a choisi d’autres façons de lutter que la seule désobéissance civile, nous reconnaissons le courage et la détermination qu’il faut pour s’opposer ainsi à une injustice. De même, il est historiquement indéniable que les blocages de transports (du moins en Allemagne) ont contribué de manière non négligeable aux succès du mouvement dans cette phase. Ici aussi, en France, d’autres blocages que celui de 2004 ont eu lieu (entraînant parfois d’autres accidents graves) mais cette pratique de contestation n’a cependant jamais atteint la popularité qui fut la sienne outre Rhin.
Histoire d’une désobéissance sans frontières
Les liens entre les mouvements antinucléaires français et allemands remontent à leurs débuts. Les luttes dans le « Dreyeckland » (Fessenheim, Marckolsheim, Wyhl) ou la mobilisation commune à Malville en 1977 – au cours de laquelle le militant Vital Michalon a été tué par une grenade de la police – marquent les points forts de cette première phase.
À partir de la fin des années 1990, la résistance en Allemagne s’est focalisée sur les « transports Castor ». Il s’agissait principalement du transfert des déchets hautement radioactifs des centrales électriques allemandes et des usines de plutonium de la Hague (France) et de Sellafield (Royaume-Uni) vers le site de Gorleben, dans le nord de l’Allemagne. Il était donc logique, alors, de renouer le lien et de mener à nouveau la lutte ensemble, au-delà des frontières. C’est à cette série de blocages, des deux côtés de la frontière, que Sébastien avait décidé d’apporter sa contribution. Ce lien transnational ne s’est pas arrêté le 7 novembre 2004, bien au contraire. Les protestations contre le rapatriement des déchets nucléaires allemands ont été de plus en plus fréquentes ici aussi. On se souvient par exemple du sabotage de trains à grande vitesse français et allemands en novembre 2008, connu du grand public sous le nom d’« affaire Tarnac ». En 2011, le camp de Valogne permettait, pour la première fois côté français, une mobilisation de masse contre ces transports.
Ironie de l’histoire, après des années d’interruption, c’est justement dans quelques semaines que le dernier de ces convois nucléaires partira de la Hague en direction de l’Allemagne et du centre de stockage intermédiaire de Phillipsburg (celui de Gorleben ayant été abandonné définitivement il y a trois ans !). Nous ne nous attendons pas à une forte résistance cette fois-ci. Nous savons que la porte de ce chapitre mouvementé de l’histoire antinucléaire franco-allemande se referme doucement.
Alors que le mouvement allemand n’a pas réussi (jusqu’à présent) à se réinventer après l’abandon de la production d’électricité nucléaire, le mouvement français, de taille relativement modeste, doit pour sa part faire face à d’énormes défis : l’extension de l’usine de plutonium de La Hague avec un nouveau bassin de stockage, la « relance du nucléaire » qui va de paire avec l’extension massive des installations atomiques, ainsi que le début imminent de la construction du projet de stockage Cigéo à Bure.
Pas de train pour Bure !
Le lien entre la résistance à Gorleben et à Bure s’est également développé au fil des décennies et Sébastien trouve aussi une place de choix dans cette histoire collective. Les parallèles qui s’imposent entre les projets de construction (ainsi que la résistance à ces projets) ont conduit dès le début à un échange intensif entre ces deux luttes locales. Un soutien mutuel actif s’est développé ainsi que des liens personnels profonds et des projets communs. 2004 a été une année marquante dans l’histoire de la résistance antinucléaire dans le sud de la Meuse. Deux activistes de la résistance de Gorleben ont acheté la Maison de Résistance à Bure. Ils ont ainsi créé la première permanence locale pour les militants de la région. Puis en novembre… le terrible accident. Trois ans plus tard, en 2007, l’entourage politique de Sébastien a acheté l’ancienne gare de Luméville. Un projet de résistance qui s’oppose explicitement à la remise en état de cette ligne ferroviaire cruciale pour le projet Cigéo.
20 ans plus tard, nous nous sommes donc réunis pour créer un lieu de mémoire permanent dans le département de la Meuse – le département d’origine de Sébastien et le théâtre actuel de la résistance antinucléaire. Pour cela, nous avons construit à Baudignecourt, sous le pont enjambant l’ancien chemin de fer désaffecté, sur les rails, un mur massif de 25m2 composé d’environ 6 tonnes de parpaings, de ciment et d’acier. Nous avons ensuite peint une fresque sur ce mur.
Par ce geste, nous voulons montrer que Sébastien n’est pas oublié. Il s’agit pour nous de considérer cet accident comme une partie de l’histoire de notre mouvement, dont nous pouvons et devons tirer des enseignements pour les luttes futures. Et de garder également à l’esprit que les luttes sur les rails prendront une place de plus en plus centrale dans notre résistance dans les années à venir.
Le tronçon de ligne Ligny-Gondrecourt que nous avons bloqué (plus ou moins symboliquement) est actuellement désaffecté et appartient à la SNCF. Sa remise en état est prévue à partir de l’automne 2027. Même si la liaison est vendue à la population locale comme un projet de renforcement des transports en commun, il s’agit d’une simple voie de desserte pour la construction de Cigéo et le transport ultérieur des déchets toxiques. Plusieurs collectifs et organisations citoyennes appellent à s’opposer à ce projet de construction.
Le tronçon suivant, entre Gondrecourt et Saudron est voué à devenir une voie privée appartenant à l’Andra et menant directement à l’intérieur de l’enceinte de Cigéo. C’est en vue de la création de cette « installation terminale embranchée (ITE) » (telle qu’elle est nommée dans la novlangue de l’industrie nucléaire), sous la direction de l’Andra, que des procédures d’expropriation sont actuellement en cours à l’encontre d’environ trois cents propriétaires fonciers le long de la vieille voie. L’ancienne gare de Luméville en fait partie. Ses habitant.es et usager.es actuel.les appellent à l’occupation et à la défense de « LA GARE » !
Sébastien, on n’oublie pas !
Il n’y aura jamais de Cigéo ni de déchets à Bure !
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