Au-delà de la politique qu’Arnaud Robinet porte, c’est sur le champ rhétorique et ses prises de position publiques que le maire semble opérer une trajectoire bien plus radicale. Publiant quasi quotidiennement sur Twitter et Facebook, il commente régulièrement les derniers scandales et polémiques, appelant à une répression stricte contre la délinquance en employant des termes ambigus, et s’attaquant à la gauche en reprenant des éléments de langage directement banalisés par l’extrême droite. Particulièrement actif sur l’actualité en Israël et Palestine, il opère des raccourcis douteux entre ce qu’il considère d’extrême gauche et l’antisémitisme, associant notamment systématiquement les députés LFI à des défenseurs du Hamas et à des ennemis de la République.
La « racaille » et les « sauvages », cette délinquance pas comme les autres
Des « voyous », des « délinquants », des « racailles ». C’est par ces mots qu’Arnaud Robinet qualifie les personnes ayant dégradé les quartiers de Croix-Rouge, Orgeval et Murigny durant la nuit du 29 au 30 juin 2023 [1] suite à la mort de Nahel Merzouk. Le soir des violences, il s’emporte sur Twitter, qualifiant les émeutiers de « racaille », de « hordes de sauvages », dont la « seule place digne de leur sauvagerie » serait la prison. Il emploie des mots durs dont il n’a pourtant pas toujours été lui-même adepte : il aurait en effet lui-même reproché par le passé l’emploi du mot « racaille » à Jean-Claude Philipot, conseiller municipal RN passé par Reconquête, qui se fera un plaisir de le lui rappeler dans l’édition du 11 septembre 2023 du magazine Reims Attractive [2].
Les mots « racaille » et « sauvage », aujourd’hui banalement employés dans le paysage médiatique et le discours public, ne choquent plus grand monde, mais se révèlent toutefois problématiques à plusieurs titres. Ils sont en effet exclusivement et systématiquement utilisés pour qualifier les populations jeunes des quartiers. Cet emploi réservé à des personnes racisées établit de fait une association directe à la thématique de l’immigration, et contribue aujourd’hui à entretenir un imaginaire raciste et néo-colonialiste [3] : les racailles et les sauvages sont déshumanisé·es, réduit·es à des personnes dénuées de réflexion et incivilisées, qu’il convient de remettre dans le droit chemin par tous les moyens nécessaires, notamment la violence. En employant ces termes, le maire contribue à réserver à une catégorie de personnes l’exclusivité d’une violence et d’une barbarie prédisposée dont les autres groupes de la société seraient bien incapables, témoignant d’une logique déterministe et racialiste. En effet, ils ne sont jamais utilisés pour caractériser des personnes appartenant à d’autres groupes accusés de dégradations et de violences. Lorsqu’il s’agit de Gilets jaunes ou d’agriculteurs, de milices d’extrême droite ou d’activistes écologistes, ou encore de mouvements étudiants et lycéens, il ne vient pas à l’esprit de leurs détracteurs·rices de leur apposer ces qualificatifs.
L’existence de ces « sauvages » trouve par ailleurs une utilité politique majeure : supposée responsable d’une prétendue explosion du nombre de violences et de leur gravité au sein de la société (un phénomène régulièrement asséné dans les médias mais loin de faire consensus [4]), elle justifie à elle seule la mise en œuvre du programme sécuritaire de la droite et de l’extrême droite. Celle-ci emploie régulièrement le terme « ensauvagement » pour nourrir sa rhétorique d’incompatibilité culturelle et ethnique, exacerber le sentiment d’insécurité et justifier des mesures toujours plus répressives et violentes à l’égard de la délinquance des quartiers.
L’utilisation de termes comme « sauvages » et « racaille » est donc loin d’être anodine, car ceux-ci convoient un message idéologique fort, entretenant un imaginaire profondément raciste largement employé par l’extrême droite xénophobe. Si celui-ci peut parfois échapper dans un premier temps aux personnes qui les emploient en raison de leur usage désormais répandu, le fait qu’ils soient systématiquement réservés à une catégorie de personnes et pas à d’autres devrait suffisamment les interroger pour qu’elles se rendent compte de leur réelle connotation.
Grand ménage dans la cité des sacres
En plus de contribuer à la stigmatisation des quartiers et de leurs habitant·es, concentrant non seulement les populations immigrées et leurs enfants mais également la précarité, en leur apposant des qualificatifs réducteurs, Arnaud Robinet semble vouloir en faire les bénéficiaires prioritaires de sa politique de suspension des allocations du CCAS et d’expulsion des logements sociaux évoquée dans la précédente partie. Il espère ainsi réduire drastiquement la délinquance par effet de dissuasion en privant directement les familles de moyens de subsistance essentiels, sans s’inquiéter des conséquences d’une aggravation de la précarité. Lorsqu’il se prononce en faveur de l’expulsion systématique des délinquants et criminels, c’est là aussi uniquement à l’encontre des personnes étrangères, au détriment du principe d’égalité devant la loi. En effet, s’il a appelé systématiquement sur les réseaux à la mise en œuvre de ces sanctions lorsqu’un fait d’actualité fut associé aux quartiers, à des étrangers, ou à la laïcité et à l’islam (violences urbaines à Croix-Rouge, règlements de comptes à Orgeval, interdiction du port de l’abaya, etc.), il n’en a pas été le cas lorsqu’il réagissait à d’autres mouvements comme le mouvement contre la réforme des retraites, les manifestations de l’extrême droite, les blocages ou encore les sabotages réalisés par les agriculteurs, témoignant d’un parti pris ambigu.
Après les violences de juin 2023 [8], il avait par ailleurs invoqué la nécessité de « nettoyer le quartier Orgeval », observant un « changement de population », qui n’est pas sans rappeler une célèbre citation de l’ancien premier ministre Nicolas Sarkozy datant de 2005, qui appelait à « nettoyer au karcher » les cités et qui promettait également de « débarrasser les quartiers » de ses « racailles » [9]. Toute critique de la politique menée par la municipalité autour des quartiers constituerait d’ailleurs selon lui des « discours victimaires », sous prétexte que des moyens importants y auraient déjà été injectés — sans s’étendre davantage sur leur pertinence ou leurs résultats. Outre le côté paternaliste du terme, le simple fait d’émettre une critique reviendrait donc à faire preuve d’ingratitude, une posture classiste qui n’entend aucune remise en cause de la politique municipale. Autant de discours discriminatoires, enfermant les quartiers et leurs habitant·es dans une catégorie à part où aucun écart ni dissidence de quelque sorte ne saurait être toléré.
Bien plus choquants sont cependant les propos que le maire a tenus en marge du conseil municipal du 20 mars 2023 [10]. Il s’attaque à un sujet « social et sécuritaire » « qui lui tient à cœur » : les livreurs Uber ou Deliveroo. Les constatant « de plus en plus nombreux », il affirme que l’on est « très loin du job étudiant » revendiqué par les plateformes qui les emploient. Leur présence en centre-ville dérangeant visiblement le maire et ternissant l’image qu’il souhaite renvoyer de la place d’Erlon et du centre de Reims en général (malgré la présence de « zones blanches » [11] les empêchant déjà de circuler et stationner à plusieurs endroits), il refuse tout encadrement ou facilitation de leur activité par les collectivités locales. Il déplore un « esclavagisme du 21e siècle » et des salaires indignes… avant de s’attaquer directement aux coursiers en les qualifiant de « pseudos-entrepreneurs ». Il tiendra ensuite des propos douteux, dénonçant « la situation irrégulière » des livreurs pour « une partie, si ce n’est la moitié » d’entre eux. Impossible de savoir d’où le maire sort ce chiffre, si ce n’est visiblement d’une estimation réalisée au doigt mouillé. Il tiendra ensuite de graves propos diffamatoires, assurant qu’un « certain nombre de ces livreurs s’adonne à des trafics de stupéfiants » pour étoffer son accusatoire. Il n’apportera aucun élément de preuve pour appuyer ses propos, se contentant de remercier la police qui contrôle leurs identités. Sur quels constats et chiffres s’appuie donc le maire pour établir son réquisitoire ? Probablement rien, si ce ne sont des déductions basées sur la seule apparence des coursiers, et donc ses aprioris et ses préjugés. On retiendra donc que, plutôt que de s’indigner du modèle économique précaire auxquels les livreurs sont soumis, Arnaud Robinet s’inquiète davantage de voir des coursiers qu’il assimile de visu à des délinquants arpenter sa ville et gâcher la vue qu’il souhaite offrir aux riverains et aux touristes.
(Source : https://www.videliostreaming.com/Reims/ville-de-reims/2023-03-20_18/, à partir de 1:14:22)
Le maire contre les « islamogauchistes », le « wokisme » ou les « bien-pensants » d’extrême gauche
Arnaud Robinet a visiblement une définition très personnelle et floue de l’extrême gauche, qu’il semble étendre à l’ensemble de l’opposition de gauche et notamment à la France Insoumise, qu’il critique régulièrement sur les réseaux. Se contentant de mettre les extrêmes au même niveau, il souhaite visiblement incarner une voix de la raison centriste, rationnelle et raisonnée qui, elle, ne tomberait pas dans le piège des extrêmes. Il affiche pourtant à plusieurs reprises une certaine proximité, voire une complaisance avec certains propos et politiques de l’extrême droite, tout en marquant toujours plus distinctement la distance avec la gauche et ses représentantes.
Sur Twitter, Facebook ou Instagram, Arnaud Robinet commente quasi quotidiennement l’actualité, et ses critiques contre l’opposition sont tout aussi régulières. Il y attaque non seulement l’opposition de gauche, locale comme nationale, mais mentionne en réalité plus régulièrement l’extrême gauche. Sur Twitter, il s’en prend plus particulièrement à la France Insoumise et à ses membres, fustige le « wokisme » qui « rend service à l’extrême droite et l’islamisme », ou la « violence de l’ultra gauche ». Il les accuse d’être « anti-républicains », « antisémites », complices de l’islamisme radical, ou « obscurantistes ». En juillet 2023, sur la très droitiste Sud Radio, il fustige « les excités de la NUPES » qui critiquent les violences policières comme se croyant encore au temps « de leurs assemblées générales étudiantes » (un flagrant ad hominem dont on peut douter de la pertinence), et qualifie l’opposition de gauche critiquant sa politique d’expulsion des logements sociaux de « bien-pensants de gauche » [12].
Au lendemain des attaques terroristes du Hamas, dans un entretien accordé à Pascal Praud sur Europe 1 en octobre 2023, il n’hésite pas à qualifier certains députés LFI de « députés d’extrême gauche islamogauchistes » [13], qui s’accointeraient avec l’islamisme des quartiers et critiqueraient le sionisme à des fins purement « électoralistes ». Il y affirme notamment partager l’analyse du célèbre présentateur réactionnaire, qui déplore l’existence de jeunes gens « absolument pas intégrés à la vie française, à son histoire et ses mœurs », l’existence « d’enclaves étrangères », dont seuls les « éléments les plus radicaux » feraient usage de leur droit de vote en faveur de LFI et ses prises de positions « intégristes ». Dans sa tribune publiée peu après dans le JDD [14], alors déjà dirigé par l’ancien directeur du journal d’extrême droite Valeurs Actuelles Geoffrey Lejeune, il affirmait là aussi qu’il était « minuit moins une pour la civilisation judéo-chrétienne » et appelait l’État à faire des maires « des fantassins de la république », inscrivant la lutte contre le terrorisme dans le même discours de conflit civilisationnel et de guerre de religion portée par l’extrême droite.
Cette rhétorique n’est pas sans rappeler les discours portés par les figures politiques d’extrême droite, dont les qualificatifs de « woke », « islamogauchiste » ou encore « bien-pensance » qu’ils assènent constamment font partie intégrante de l’arsenal oratoire et sont aujourd’hui connus de toustes : ce sont eux qui l’ont intégré au discours public [17], banalisant ces termes désormais employés de la droite la plus radicale jusqu’au centre, voire par certaines personnalités se revendiquant de gauche, comme le conclut une étude du CNRS de 2021 [18] portant sur le terme « islamogauchiste » .
Ces termes vagues ne possédant aucune définition précise et consensuelle sont considérés sans réelle valeur ou fondement scientifique [19], relevant avant tout de l’opinion et du sophisme (dit de l’homme de paille) ayant pour unique but de caricaturer à l’extrême ses adversaires afin d’en faciliter la disqualification. Ils permettent notamment de taire d’entrée de jeu tout plaidoyer en faveur de la justice sociale et de réduire en un instant la lutte contre l’islamophobie à une alliance avec l’islamisme, le « wokisme » à une secte moralisatrice, la défense des droits LGBTQIA+ à la déconstruction des sexes et de la famille nucléaire, la critique du patriarcat à la haine des hommes, etc. Autant de thématiques auxquelles l’extrême droite s’oppose farouchement dans la continuité de son combat contre toute forme de diversité et d’inclusivité. Ils relèvent de l’opinion personnelle, et sont le reflet des dernières paniques morales réactionnaires d’une société secouée par la libération de la parole et la revendication des droits. Cette rhétorique caricaturale rejetant le progressisme, les émancipations et alimentant la peur de la différence témoigne également d’un appauvrissement du langage et du rejet de l’intellectualisme comme de l’esprit critique, plusieurs des caractéristiques fondamentales du fascisme théorisées par l’écrivain et universitaire Umberto Eco [20]. L’emploi du terme islamogauchiste et ses dérivés suivent d’ailleurs la même logique que celui du terme « judéo-bolchevique » employé dans les années 30, avec les conséquences qu’on leur connaît.
Peu subversifs, ces termes sont aujourd’hui omniprésents dans les discours de la droite et de l’extrême droite, de Zemmour à Ciotti, de Le Pen à Darmanin, de Bardella à Édouard Phillipe, en passant par les bancs de la majorité et la quasi-totalité des principaux médias d’information et de leurs intervenant·es. Leur utilisation par Arnaud Robinet est problématique à plusieurs titres : reprendre à l’identique les éléments de langage de l’extrême droite inscrit son discours et sa politique dans la même continuité et l’en rend indissociable. Elle contribue à non seulement binariser le débat, renforcer les stéréotypes, et banaliser le discours de l’extrême droite, alimentant directement la montée en popularité des partis comme le RN et Reconquête !, et ce bien davantage que le prétendu wokisme ne le ferait. En l’absence de tout argumentaire pour appuyer ses propos, ce verbatim témoigne également d’un manque de culture politique et d’esprit critique, et de réactions davantage émotionnelles que réfléchies.
Lutter contre l’antisémitisme, mais surtout contre la gauche
Arnaud Robinet ne manque pas une occasion de commenter les derniers faits d’actualité brûlants. Ces derniers mois, c’est sur les événements en Israël et Palestine que le maire s’est révélé particulièrement loquace.
Depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, Arnaud Robinet adopte une position sans compromis. Apportant rapidement son soutien inconditionnel à l’état israélien, il amalgame toutefois d’entrée de jeu la défense du peuple palestinien à l’apologie du terrorisme et la haine des juifs. Il s’attaque à l’ensemble des personnalités politiques, notamment de la NUPES, qui tentent de mettre en contexte la situation en les accusant de prendre la défense du Hamas et d’en minimiser les exactions.
Rappelons ici un principe essentiel : la gauche n’est évidemment ni imperméable ni exempte de comportements et propos antisémites ou relativistes au sein de ses rangs, qu’elle doit combattre et rejeter sans compromis, car ces propos n’ont pas de place dans nos luttes. La gauche est intersectionnelle ou n’est pas, et elle doit lutter contre toutes les formes de racisme, d’exclusion et de rejet, et porter la voix de toustes les opprimé·es. Si certains propos, décriés au sein même de la gauche et de ses partisan·es sauraient être critiqués au vu de leur ambiguïté, Arnaud Robinet opère toutefois un raccourci fallacieux et d’une grande malhonnêteté intellectuelle lorsqu’il s’emploie à imputer si catégoriquement un axe d’action antisémite intrinsèque à la gauche qui choisit de prendre la défense des civils palestinien·nes.
Il semble croire que vouloir comprendre ou apporter des éléments de réponse reviendrait forcément à excuser, et ce faisant, contribue à disqualifier d’entrée de jeu toute critique à l’encontre de la politique israélienne, emboîtant ainsi le pas à la droite et surtout l’extrême droite trop heureuse d’inverser les rôles et de se défaire de qualificatifs qui lui ont longtemps été réservés. Il s’enferme ainsi rapidement dans un binarisme primaire opposant partisans du droit à la défense de l’État d’Israël à une opposition systématiquement motivée par la haine des juifs et la défense de l’islamisme, appelant à sanctionner les députés insoumis selon lui coupables d’apologie du terrorisme. Il sera là encore rapidement relayé à plusieurs reprises par le JDD de Geoffroy Lejeune et invité par Pascal Praud sur Europe 1 dans l’interview mentionnée plus haut.
Le maire accusera à plusieurs reprises plusieurs personnalités de gauche d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme, ne jugeant pas non plus nécessaire d’étayer davantage le fond de ses critiques, se contentant généralement de les interpeller sur ses réseaux au fil de l’actualité. Dès la mi-octobre 2023, il invective et critique avec verve les représentant.es de la France Insoumise, qu’il accuse de « quitter le champ républicain », comme Danièle Obono, à qui il intime de « la fermer » . Il ne cache pas son dégoût pour les discours de Rima Hassan, qu’il accuse de clientélisme, ou ceux de Jean-Luc Mélenchon, dont il attaque régulièrement les prises de position et qu’il accuse de porter la haine des juif·ves, d’être « complice du terrorisme islamiste » et de lancer des « fatwas », une accusation « d’islamogauchisme » à peine voilée. Le comparant à Drumont et Le Pen, il appelle également à mettre en place un cordon sanitaire autour de la figure historique de LFI, montrant qu’il est bien familier de ce concept d’exclusion et de non-coopération longtemps réservé à l’extrême droite. Il l’accuse notamment de s’en prendre aux juif·ves « pour un plat de lentilles électoral ». Pour Arnaud Robinet, l’équation est simple : défendre les Palestinien·nes revient à défendre le terrorisme islamiste, ce que la gauche réaliserait dans le seul but de rassembler des voix pour les prochaines élections et d’élargir son électorat.
Ces accusations de « clientélisme » sont particulièrement problématiques : il s’agit d’une rhétorique diffamatoire niant tout engagement sincère de la gauche au profit d’une démarche purement intéressée, et surtout profondément islamophobe, présupposant une proximité systématique et éclairée de l’électorat musulman avec l’islamisme le plus extrémiste. Ces éléments de langage qu’il emploie marquent une proximité directe avec ceux de l’extrême droite qui s’acharne quotidiennement contre l’islam, et contribuent directement à leur banalisation. Le maire contribue également à diluer et vider complètement de sa substance le terme « antisémite » en l’attribuant à tort et à travers pour disqualifier ses opposants, à l’image du gouvernement Netanyahu qui n’hésite pas à qualifier d’antisémites toutes les sanctions, résolutions et accusations portées par les plus hautes instances internationales pour les nombreuses exactions de son armée en territoire palestinien. Le maire n’a jamais par ailleurs commenté ces accusations de crimes de guerre [21] et de crimes contre l’humanité [22]. Le maire n’a pas non réagi à la situation des civils dans la bande de Gaza au lendemain des nombreux bombardements avérés de camps de réfugiés [23] ou d’hôpitaux [24] ayant suscité une indignation mondiale. À l’heure actuelle, le bilan s’élèverait à plus de 37 000 personnes tuées, dont plus de 14 100 enfants et 9 000 femmes, et continue à s’alourdir.
La France fut d’ailleurs l’un des rares pays à travers le monde où les manifestations en soutien aux civils palestiniens furent rapidement interdites [25], notamment suite à l’appel du ministre de l’Intérieur [26], et Reims n’y fera pas exception. Arnaud Robinet soutiendra ainsi systématiquement l’interdiction des premiers rassemblements de soutien au peuple palestinien [27], assimilant la solidarité avec Gaza à la « haine contre les juifs » et « l’apologie du terrorisme », qualifiant des manifestants parisiens de « faux manifestants » et « de vrais islamogauchistes » (voir plus haut), étendant ses accusations d’antisémitisme et de clientélisme aux partisans de la gauche. Le 26 octobre, le premier rassemblement autorisé à Reims appelant à un cessez-le-feu avait réuni une centaine de participants dont principalement des syndicalistes âgés, des étudiants et des lycéen.nes, et fut encadré par une vingtaine de forces de police équipées de tenues et d’armes antiémeutes, un dispositif répressif complètement disproportionné au vu de la faible ampleur de l’événement.
Se joignant à l’appel de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher à manifester contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023, Arnaud Robinet décide d’organiser un rassemblement devant la mairie. Pourtant si prompt à lutter contre la haine des juifs et à rappeler le passé antisémite de Jean-Marie Le Pen pour attaquer la gauche, il reconnaîtra pourtant sans aucun problème avoir invité le Rassemblement National à y participer [28], semblant oublier que ce parti tire ses origines d’anciens SS et collabos, a été dirigé pendant 38 ans par un homme condamné à 25 reprises pour propos antisémites, apologie de crimes de guerre, provocations à la haine et à la discrimination, et que certains de ses membres historiques affichent sans nulle honte leur proximité avec des groupuscules ouvertement antisémites comme le GUD [29]. Le cordon sanitaire qu’il appelle à mettre en place autour de Jean-Luc Mélenchon ne lui semble donc pas une option lorsqu’il s’agit de s’entourer des héritiers de Pétain et des nazis, dont il contribue à pérenniser de facto le travail de dédiabolisation. À ce rassemblement étaient donc entre autres présent·es avec la bénédiction du maire l’ancienne député RN Anne-Sophie Frigout, le responsable régional du RN Jean-Claude Phillipot, ou encore le syndicat étudiant d’extrême droite UNI impliqué dans l’agression du blocage de Sciences Po Reims de mars 2023 [30]. La branche marnaise du RNJ a quant à elle déjà été épinglée à deux reprises par StreetPress pour ses accointances avec des néonazis : deux membres des hooligans rémois des MesOs amateurs de Totenköpfe ont participé aux collages de leurs équipes [31], tandis qu’un militant ouvertement néonazi est resté des mois au sein du parti [32] sans jamais recevoir la moindre sanction par les cadres du RN, dont Anne-Sophie Frigout. Des rassemblements d’appel au cessez-le-feu continuent depuis à avoir lieu quasiment tous les samedis au centre-ville depuis le mois de novembre, sans que le maire ne soit allé une seule fois à la rencontre des manifestants·es. Il aurait pu par exemple y apprendre que certaines personnes y ayant tenu des propos antisémites ont déjà été priées de quitter les lieux et qu’aucun propos de la sorte n’y est le bienvenu
Sous couvert de lutte contre l’antisémitisme et contre le terrorisme, le discours d’Arnaud Robinet se rapproche de celui d’une extrême droite islamophobe, qui trop heureuse de dresser le parallèle entre la situation au Moyen-Orient et la guerre de religion et de civilisation dont elle promet l’avènement prochain en France et en Europe, en profite pour défendre sa politique anti-islam, anti-immigration, xénophobe et identitaire tout en faisant table rase de son passé antisémite, pourtant plus fourni et attesté que celui de la gauche ne l’a jamais été. Qu’importe : la critique de la gauche semble prendre la priorité sur le combat contre l’extrême droite.
Conclusion
Les prises de position et les éléments de langage d’Arnaud Robinet parlent pour eux-mêmes, témoignant d’un indéniable rapprochement vers le discours d’une extrême droite toujours plus présente et banalisée, que ce soit à travers les termes ambigus qu’il emploie pour s’exprimer sur la délinquance, les quartiers ou les livreurs, ou le verbatim qu’il reprend pour s’attaquer à la gauche. Arnaud Robinet semble désormais convaincu du bien-fondé de mettre systématiquement l’extrême gauche et l’extrême droite au même niveau, étendant ses attaques à l’ensemble de la gauche qu’il accuse de complaisance avec l’islamisme radical et l’antisémitisme, mais en ne critiquant que très rarement l’extrême droite, s’affichant même ouvertement à ces côtés, et en reprenant surtout ses propos à l’identique.
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