À propos des « identités imaginaires » et de la prise d’empreintes forcée en garde à vue



Donner une identité fictive ou imaginaire en garde à vue devient de plus en plus risqué. Les flics peuvent savoir très vite qu’elle est fictive et ont désormais le pouvoir de vous contraindre, par la force, à prendre vos empreintes digitales et de vous tirer le portrait. Conseils à méditer collectivement !

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La dernière loi sécuritaire de Macron 1er nous a réservé un traitement de faveur bien dégueulasse. Elle concerne la procédure des « relevés signalétiques », c’est-à-dire le fichage policier des personnes interpellé·e·s, que les flics peuvent vous réclamer en garde à vue mais également lors d’une simple « audition libre » : empreintes digitales ou palmaires et photos du visage numérisée (face et profil). Les empreintes sont versées au FAED, le fichier des empreintes digitales, et les photos dans le TAJ, le Traitement des antécédents judiciaires (en réalité il ne s’agit que d’antécédents « policiers »), un fichier tentaculaire de 19 millions de fiches qui permet aussi de procéder à des rapprochements par reconnaissance faciale.

Jusqu’ici, cette procédure (comme la prise d’ADN) était soumise à un chantage presque inoffensif : on peut refuser mais ce refus est un délit (peine maxi : 1 an de prison, 15.000€ d’amende).

La loi 2022-52 du 24 janvier 2022 « relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure » introduit la possibilité du « recours à la contrainte » des relevés signalétiques. En d’autres termes, de force. La différence désormais, c’est que les flics pourront avoir, dès la garde à vue, l’autorisation de vous immobiliser de force afin de choper vos empreintes et de vous prendre en photo.

Deux personnes ont déjà raconté leur sale expérience fin avril. Une a même subi des décharges de pistolets électriques pour tenter de la faire plier (finalement, les relevés seront sans doute inexploitables !). Dans ce cas précis, les flics ont d’ailleurs largement outrepassé la loi puisque des prélèvements biologiques (coton-tige dans la bouche pour choper l’ADN), non concernés par la nouvelle mesure, ont été réalisés dans les mêmes conditions. Voilà ce que ça donne quand on octroie aux flics un droit de violence sur nos corps : prêts à tout pour l’exercer, au risque de faire tomber toute la procédure pour vice de forme.

Un cadre légal strict… mais très subjectif !

Cette mesure doit remplir plusieurs conditions pour qu’elle puisse, en principe, s’appliquer. Elle s’impose aussi aux mineu·res.

Arrêtons-nous sur l’article 30 de cette loi du 24 janvier 2022, qui modifie l’article 55-1 du Code de procédure pénale :

1° L’article 55-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice de l’application du troisième alinéa, lorsque la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou d’une photographie constitue l’unique moyen d’identifier une personne qui est entendue en application des articles 61-1 ou 62-2 pour un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d’identité manifestement inexacts, cette opération peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. L’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée. Il tient compte, s’il y a lieu, de la vulnérabilité de la personne. Cette opération fait l’objet d’un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l’unique moyen d’identifier la personne ainsi que le jour et l’heure auxquels il y est procédé. Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé. »

Reprenons le texte à la lettre. Il faut donc que toutes ces conditions soient remplies :

  1. Que les faits présumés répondent à des délits punis d’au moins 3 ans de prison (5 ans pour les mineur-es) ;
  2. Que la signalétique soit a) « l’unique moyen d’identifier la personne » et b) que la personne « refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d’identité manifestement inexacts » ;
  3. Que l’OPJ fasse au parquet une « demande motivée » ; que le parquet donne l’autorisation « par écrit » ;
  4. Que le recours à la contrainte soit « strictement nécessaire et de manière proportionnée », en tenant compte « de la vulnérabilité de la personne » ;
  5. Qu’un PV spécifique soit rédigé dans la procédure, et surtout qu’une « copie [soit] remise à l’intéressé ».

La condition 1 exclut donc la contrainte dans le cas de certains délits dits "légers" (punis de mois de 3 ans, ou 5 ans pour les mineur·e·s). On n’a pas tous-tes le code pénal dans la tête, mais on peut déjà lister des infractions « classiques » qui ne sont pas concernées (peines maxi de 1 an de prison) : outrage, rébellion (« résistance violente » à une interpellation), refus d’obtempérer, participation à un groupement, visage dissimulé dans et aux abords d’une manifestation… Attention, dès que l’infraction supposée est commise « en réunion » ou « sur personne dépositaire de l’autorité publique », ça peut monter au-delà des 3 ans et la contrainte peut alors s’imposer… Le vol simple (art 311-3 CP) est concerné car passible d’une peine de 3 ans de prison. Mais si la valeur du bien est sous les 300€ et qu’il a été restitué, impossible : ce délit est désormais passible d’une contravention.

La condition 2a sous-entend que le parquet devra prouver que ce fichage reste « l’unique moyen » d’identifier l’interpellé·e ; et le point 2b) indique qu’une personne qui décline une identité avec une pièce ou tout moyen permettant de la vérifier, ou qu’il n’existe aucun doute sur cette identité, ne peut pas être forcée de tendre ses paluches ou de se laisser photographier. Bien sûr, tout ça c’est de la théorie quand on doit affronter des chiens prêts à tout pour vous faire plier. La preuve, une autre personne victime de ce traitement de choc (à la suite de l’occupation de l’ENS) avait décliné une identité pourtant vérifiée dans les règles !

Les conditions 3 et 4 sont des alibis de procédure ; les notions de « nécessité » et de « proportionnalité » sont des termes trop subjectifs quand on vit la chose en vrai, et ce sera à l’avocat·e, face aux juges, de faire valoir des nullités.

Enfin, la condition 5 suppose qu’une copie du PV imposant la mesure vous soit remise.

Une fois en garde à vue, penser à ces quelques trucs :

  • Lire attentivement les motifs d’interpellation dans les PV que l’on vous montrera ;
  • De ne rien décider sur la signalétique avant d’avoir pu parler avec l’avocat·e (désigné·e ou commis·e d’office), pendant les 30 mn d’entretien privé, pour discuter notamment des infractions supposées et du risque de subir la contrainte ;
  • Demander à l’avocat·e de vous assister pendant les auditions et qu’il fasse des observations sur le recours à la force en cas de refus (nécessité, proportionnalité) ;
  • Vous êtes en droit à réclamer le fameux PV en quittant le commissariat ; mais si rien ne vous est remis, ça pourra faire l’objet d’une demande de nullité (que seul le tribunal pourra juger recevable ou pas...)

Attention : quand bien même la flicaille nous aurait pris les empreintes digitales par force, on n’est pas à l’abri de poursuites pour « refus de se soumettre aux opérations de signalétique ». En effet, l’alinéa 4 de l’article 55-1 précité nous indique que la prise d’empreintes forcée se fait « sans préjudice de l’application du troisième alinéa » de ce même article, ce qui veut dire qu’on encourt toujours la peine d’un an de prison et de 15 000€ d’amende pour avoir refusé de donner ses paluches, alors même que les flics les ont finalement obtenues sous la contrainte.

À propos des « identités imaginaires »

Cette mesure de contrainte est une attaque directe aux stratégies d’identité imaginaire. Il arrive en effet que des personnes préfèrent décliner une autre identité que la leur face aux flics, histoire d’éviter le fichage ou tout simplement de refuser toute collaboration.

Ces derniers temps, particulièrement au parquet de Paris, flics et parquetiers sont tellement remonté·e·s contre ces pratiques d’insoumission — garder le silence, refus du code PIN et des fichiers — que la garde à vue est quasi systématiquement prolongée de 24 heures. Après déferrement au tribunal, tout sera mis en œuvre pour qu’aucun doute ne subsiste sur cette identité. Au point qu’en comparution immédiate, si le/la prévenu-e veut exercer son droit à un délai pour être jugé, il sera quasi automatiquement requis une détention provisoire, c’est-à-dire plusieurs semaines de prison avant le jugement. Le tribunal peut alors émettre une « commission rogatoire » afin que les relevés signalétiques s’opèrent immédiatement. Il n’est pas rare qu’en pareille situation, les personnes craquent et déclinent finalement leur réelle identité, mais le tribunal ordonnera tout de même la prise de signalétique. Avec ou sans contrainte.

En donnant aux flics une identité imaginaire, il faut donc s’attendre à passer un mauvais moment.
En garde à vue, la seule obligation légale est de « décliner une identité ». On appelle ça la « petite identité » : nom, prénom, date et lieu de naissance. La « grande identité » (noms prénoms date de naissance des deux parents) est demandée parfois pour éviter des homonymies, mais la décliner n’est en rien obligatoire.

Comment les flics vérifient une identité ? Très simple : ils interrogent le bon vieux casier judiciaire. Nous y sommes toutes et tous quasiment dès la naissance (ou plutôt dès 13 ans, âge de responsabilité pénale), car le casier est lié aux fichiers d’état civil (que l’on soit Français·e ou résident·e avec un titre de séjour)..

  • Si le casier « répond » — soit en faisant apparaître des condamnations, soit avec la mention « Néant » — alors votre identité ne peut être contestée. Et la contrainte ne devrait pas pouvoir s’appliquer.
  • Si le casier ne répond pas, alors les flics vont en déduire que l’identité a été inventée ; il y aura aussi une « non-réponse » si date et lieu de naissance ne correspondent pas au nom donné ;

On peut imaginer qu’il soit moins risqué, au stade de la gardav, de donner une identité fictive d’une autre nationalité, sans garantie de passer sous les radars ; mais à ce compte-là, autant en choisir une hors de l’Union européenne, car il existe un croisement automatique des casiers dans les pays de l’UE (base « ECRIS ») et il est arrivé que des militant·e·s se déclarant Belge ou Allemand·e finissent leur parcours judiciaire en Centre de rétention pour être renvoyé dans « leur pays »…

S’ajoutent à cela d’autres délits :

  • Donner une identité fictive ou imaginaire est puni de 7500€ d’amende : « celui qui aura fourni des renseignements d’identité imaginaires qui ont provoqué ou auraient pu provoquer des mentions erronées au casier judiciaire » (art 781 du Code de procédure pénale) ;
  • Donner la vraie identité d’un-e autre (« usurpation d’identité ») est encore plus sévèrement réprimée (art. 434-23 du Code pénal) : cinq ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende.

Bref, la stratégie de brouiller les pistes en ne donnant pas sa véritable identité en garde à vue devient plus risquée. Parfois elle s’impose par solidarité, si l’on est arrêté·e avec des gens en situation irrégulière et qui ne veulent pas que leurs empreintes soient prélevées — elles seront immédiatement croisées avec le fichier des demandeurs d’asile Eurodac.

Seul-e ou collectivement, si vous choisissez cette stratégie d’identité fictive, quelques trucs à méditer avant :

  • Si l’on est prêt à subir la contrainte — ce n’est pas donné à tout le monde —, les empreintes correspondront donc à une personne fictive ;
  • Pour rendre les empreintes inexploitables, on peut tenter de bouger ses doigts pleins d’encre sur la feuille de papier ;
  • Si on se prépare à une action ou manif avec un grand risque de garde-à-vue, on peut mettre de la colle (la super-glue marche très bien) sur le bout de tous les doigts et la laisser sécher, pour que nos paluches ne puissent pas être relevées une fois au commissariat ;
  • Pour les photos : faire des grimaces, fermer les yeux ou bouger la tête ; si les flics vous plaquent contre le mur pour vous tenir la tête ce sera plus violent, mais il y a des chances que les traits tirés du visage rendent le visage méconnaissable ;

Lors la prochaine garde à vue, c’est plus serré ; citons ces deux options :

  • Si l’on donne un autre nom fictif, il sera facile de comparer les empreintes dans le fichier FAED et de faire apparaître une deuxième identité pour la même personne : ce sera suspect direct ; de même, la prise de photo et l’exploitation du fichier TAJ par reconnaissance faciale peut permettre un rapprochement entre les deux identités données ;
  • En donnant le même nom fictif (avec même date et lieu de naissance) cela fera apparaître une deuxième mention dans le fichier FAED ou TAJ ; mais n’oubliez pas que cette identité fictive risque d’avoir déjà été « recalée » au casier judiciaire : elle reste donc suspecte aux yeux de la justice ;

Nous voilà prévenu·e·s. Le cadre légal de cette mesure scélérate, s’il est important de la connaître, ne doit pas nous donner l’impression d’être protégé·e : les flics useront de ce nouveau pouvoir pour nous faire chier jusqu’au bout. C’est pourquoi il est important d’en parler entre nous avant, qu’en fonction des situations ces différentes stratégies puissent se discuter collectivement avant d’y être confronté·e.

P.-S.

Ce texte est édité en brochure A5 sur le site du réseau Rajcol, où vous trouverez d’autres conseils d’auto-défense juridique : https://rajcollective.noblogs.org/materiaux-a-diffuser/