A Bure, l’Etat s’entête dans la répression. Un gout d’exotisme frappe ces villages désolés du Sud Meuse. On se croirait en Turquie sous Erdogan. La Macronie aime autant les start-up que la matraque. Aujourd’hui, c’est de l’ordre du constat et non de l’idéologie : Nous assistons à la lente décomposition de notre Etat démocratique et à la montée d’un fascisme rampant. C’est une chose de le dire et de l’écrire, c’en est une autre de le ressentir dans sa chair, sous la menace du revolver.
Coups de bélier, portes fracassées, menottes, gardes à vue massive. Mercredi 20 juin 2018, nous avons subi la troisième vague de perquisitions en un an, la plus grave, la plus conséquente contre les opposants à la poubelle radioactive CIGEO. Il y a quelque chose qui pourrit dans l’Est de la France, un climat qui résonne avec des temps bien sombres…Comment sinon interpréter la garde à vue de notre avocat, la fouille de son cabinet, les rafles dans les rues, le survol par les drones et les hélicoptères au quotidien dans les villages, les interpellations, la mise sous scellée de dizaine d’ordinateurs, clés USB, téléphones etc. ?
Il n’y a pas d’un côté les opposants légaux et de l’autre, des illégaux
La répression ici est une rengaine, mais aujourd’hui un cap a été franchi. Nous voyons se profiler le spectre d’une nouvelle affaire Tarnac où les opposants au projet CIGEO seraient traités comme des terroristes. S’attaquer au nucléaire est un crime de lèse majesté tant l’atome est puissant en France. Mais nous avons l’intime conviction que si l’Etat frappe si durement les opposants à CIGEO - On compte depuis un an une trentaine de procès, plusieurs peines de prison ferme et d’interdictions de territoire – c’est parce qu’il se joue ici quelque chose de détonnant. Qui menace le pouvoir et fait voler en éclat sa propagande.
Depuis plusieurs années, les opposants de toutes les composantes évoluent ensemble, dans l’intensité des liens qui les unissent. Ils refusent la désolidarisation et les calculs de l’Etat qui voudrait séparer le bon grain de l’ivraie et voir d’un côté une opposition légale et une autre illégale.
La lutte à Bure a assumé, dans son rapport de force contre l’Etat et les nucléocrates, la complémentarité des pratiques, sur le terrain, dans les prétoires ou les plateaux télévisés. Dès le début de l’occupation du bois Lejuc, en juin 2016, un texte signé par plus de 80 associations affirmait qu’« Il n’y a pas d’un côté le manifestant masqué sur la barricade et de l’autre le citoyen pétitionnaire devant son écran mais la construction d’un mouvement ouvert à tous ceux qui refusent la résignation devant un projet imposé d’en haut ».
Face aux débats sclérosants qui déchirent le milieu militant, entre le dogmatisme de la non violence et celui de l’action directe, la lutte de Bure a fait le choix de l’articulation, de la bonne intelligence. Celle qui se dessine progressivement, pas à pas, au fil des coups durs comme des joies partagées et des succès. La chute du "Bure de Merlin" en aout 2016 en fut l’exemple le plus éclairant. Un acte de sabotage joyeux et collectivement assumé par le mouvement. C’est grâce à un recours juridique montrant l’irrégularité des travaux de l’Andra que plusieurs centaines de personnes ont pu s’engouffrer dans le bois et mettre à bas le mur. Barricade juridique, barricade médiatique et barricade physique vont de pair. Elles se complètent pour donner au mouvement un accroissement de puissance et le rendre indiscernable.
En février 2017, 700 personnes attaquaient les grilles du laboratoire de l’Andra, les associations citoyennes expliquaient dans un communiqué les raisons de cette rage. « Face à des années de ce traitement indigne d’une démocratie, il est inévitable que la colère finisse par s’exprimer hors des espaces tolérés par les autorités et autrement qu’avec la fleur aux dents ».
A Bure, il n’y a plus de cogestion ou de récupération possible. Mais un front dans une guerre de basse intensité qui oppose la population aux autorités et à sa police. L’Etat n’a plus de prise pour canaliser cette colère qui monte. Elle lui échappe, glisse et se rend ingouvernable.
Après la démonstration de force de samedi dernier où 3000 personnes ont défilé dans les rues, il tente vainement de diviser le mouvement. Il a ciblé au cours des perquisitions des membres d’associations historiques. Les questions posées sont très claires lors de ces auditions : « Pourquoi les pacifistes défendent-ils ce type d’action de sabotage et de dégradation ? Pourquoi ne les empêchent-ils pas ? Qui finance ? Qui organise ces manifestations non déclarées ? »
L’Etat ne peut accepter la parole subversive du mouvement de lutte ni le boycott de la future concertation à l’automne. Car ce boycott brise le processus d’acceptabilité sociale du projet et pose une véritable conflictualité. Il ne s’agit pas d’inviter les populations à choisir le papier peint des galeries souterraines mais bien d’inventer d’autres formes de vie qui nous sortent du totalitarisme de l’atome.
Nous voulons réaffirmer ici la pleine et entière solidarité des différentes composantes de la lutte qui subissent toutes la répression. Les vrais casseurs de notre pays ne sont pas ceux que l’on croit. Des tags, ça s’efface, pas une poubelle nucléaire. Comme le disait Claude Kaiser, un militant historique, « . En lutte pacifique depuis 20 ans contre ce projet, je peux en témoigner du mépris de l’Etat. Pétitions, recours juridiques, rencontres des élus et même des ministres, on s’est toujours moqué de nos arguments. Quant aux beaux débats publics bien propres et bien républicains, ce ne sont que des mascarades. Le débat de 2005 par exemple avait donné un résultat sans appel : il ne faut pas enfouir. quelques mois plus tard, le gouvernement confirmait l’option de Bure. Ces jeunes, qui pour beaucoup habitent désormais ici, ont compris l’étendue de ce mépris. Et quand on les provoque, oh surprise, contrairement à nous, ils se défendent. Et depuis qu’ils sont là, on obtient enfin des résultats. Alors les bien pensants qui n’ont jamais levé le petit doigt, rengainez donc vos leçons de morale ».
Des opposant.e.s au projet CIGEO.
(Article repris du blog Sauvons la Forêt sur Mediapart.)
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