Jean-Pierre Filiu, Un historien à Gaza, Éditions Les Arènes, 2025
Pour témoigner de la réalité de la guerre, de même qu’il est allé en Ukraine où il terminera l’écriture de cet ouvrage, J.-P. Filiu a séjourné à Gaza du 19 décembre 2024 au 21 janvier 2025 (début de la trêve).
Pour y parvenir il a intégré une organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF).
Depuis 1967 tout ce qui entre et sort de Gaza est contrôlé par les autorités israéliennes. Depuis que le Hamas a chassé l’Autorité Palestinienne, Gaza est déclaré « territoire hostile » interdit aux citoyens israéliens. L’armée d’occupation a refusé au Patriarche de Jérusalem le droit de visiter les 500 chrétiens encore à Gaza en décembre 2024. Il faudra l’intervention du Pape pour qu’il puisse y passer une nuit !
Filiu raconte son arrivée, de nuit, à pieds entre deux jeeps de l’armée israélienne.
« Rien rien ne me préparait à ce que j’ai vu à Gaza »
Au matin de son arrivée c’est le choc de découvrir une mer de tentes dans la zone « humanitaire », une densité de 30 000 habitants au km².
Filiu nous décrit une humanité abandonnée qui va et vient sans autre but que d’attendre assez d’eau ou de nourriture pour atteindre le lendemain. Cette zone est surveillée continuellement par des drones et fréquemment bombardée.
Le 4 janvier l’armée israélienne attaque l’escorte d’un convoi de ravitaillement puis laisse les pillards qu’elle a armés dépouiller 50 camions sur 74. Ce fait se reproduit.
« Il est dangereux de protéger les convois, mais on peut les piller sans danger. »
Israël ne fait pas la guerre au Hamas, mais à Gaza et à sa population : destruction des hôpitaux au prétexte de présence de combattants sans jamais fournir de preuve, voire en falsifiant les faits. La presse internationale est interdite (et elle ne se bat pas spécialement pour exercer son droit à l’information à Gaza). Les correspondants locaux sont massacrés malgré leur gilet bleu (plus de 200 morts).
La population se débrouille comme elle le peut pour son quotidien. Tout ce qui pouvait être brûlé l’a été, pour entretenir la cuisson les femmes utilisent des bouts de carton et de tissus que les enfants on grappillé dans les décharge. Des tambours de machine à laver servent à contenir le feu.
L’accès à une eau propre est très difficile. L’absence de sanitaires contribue à la dégradation des conditions d’hygiène.
L’école n’éduque plus ni ne protège. Filiu fait état de 270 enfants tués dans les écoles en juillet 2024 !
Pour l’auteur Gaza est pris dans une triple impasse :
- Une impasse israélienne obsédée par sa sécurité
- Une impasse liée aux factions qui défendent leurs intérêts au détriment des palestiniens
- Une impasse humanitaire car il est vain de prétendre assister dans la durée une population privée de perspectives politiques et livrée au diktat de l’occupant.
« Gaza ne s’est pas juste effondrée sur les femmes, les hommes et les enfants de Gaza.
Gaza s’est effondrée sur les normes d’un droit international patiemment bâti pour éviter la répétition des barbaries de la seconde guerre mondiale. […]
Gaza nous laisse entrevoir l’abjection d’un monde qui serait abandonné aux Trump et aux Netanyahou, aux Poutine et aux Hamas, un monde dont l’abandon de Gaza accélère l’avènement. »
Pourquoi lire cet ouvrage
Les militants et les militantes qui suivent les épouvantables massacres à Gaza connaissent vraisemblablement ce que décrit Filiu, mais l’auteur ajoute des analyses à ses descriptions.
L’écriture est fluide, l’ouvrage est relativement court. Il est à conseiller et à faire circuler auprès de toutes celles et tous ceux qui pourraient ainsi toucher du doigt la réalité de la guerre qui sévit à Gaza.
Zebda, Une vie de moins, 2012.
Paroles de J.-P. Filiu.
« Je suis né dans un pays qui n’existe pas,
Je suis né sur une terre qui n’est plus à moi,
Une terre occupée, une terre piétinée,
Une terre autonome sur le papier,
Je suis né sous les You-Yous et les cris de joie,
Je suis né après bien d’autres dans le camp trop étroit,
La mer était ma frontière, mon sanctuaire,
Pour oublier les colons et le blocus et la misère,
J’ai grandi bercé au son des récits de l’exil,
J’ai grandi au creux des vies suspendues à un fil,
Le fil d’un espoir tenace dans l’impasse,
Un jour oui la tête haute nous aurons notre place,
Nous aurons notre place, nous aurons notre place.J’ai grandi trop, trop, vite entre deuil et oubli,
J’ai grandi en tutoyant l’horizon infini,
Le sable chaud sous mes pas me portait vers l’au delà,
Je serai si grand si fort, on ne verra que moi,
J’ai vécu à Gaza sans jamais en sortir,
J’ai vécu de jours en jours sans remords ni soupir,
Malgré les barbelés le couvre feu les blindés,
J’ai chéri au fond de moi le rêve d’en échapper,
Le rêve d’en échapper, le rêve d’en échapper.J’ai vécu les vagues humaines de l’intifada,
J’ai vécu cortèges et grèves drapeaux à bout de bras,
Nous chantions à pleins poumons notre passion,
Tandis qu’au dessus de nous paradaient leurs avions,
Je suis mort, a-t-on menti, d’une balle perdue,
Je suis mort assassiné par un homme inconnu,
Qui croyait faire son devoir en tirant dans le brouillard,
Sur des ombres ennemies aux armes dérisoires,
Je suis mort comme milles autres, mille après mille avant,
Je suis mort un soir d’automne, un soir de ramadan,
Mais je ne voulais que vivre, vivre libre,
Je ne voulais qu’être libre, je ne voulais qu’être libre,
Je ne voulais qu’être libre !! »

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