Triste époque que la nôtre. Sans doute furent-elles nombreuses, les générations qui posèrent ce constat amer sur leur temps. N’empêche que la nôtre est particulièrement gratinée.
Du confinement
D’abord, le retour d’un confinement qui nous autorise seulement à aller se tuer à petit feu au turbin. Certes, l’épidémie est bien réelle et non négligeable, mais s’entendre dire par ceux-là mêmes qui ont contribué à détruire en profondeur l’hôpital public qu’il faut renoncer à toutes formes de sociabilités ou de distractions pour s’autoriser seulement à sortir travailler et ainsi sauver le pays, c’est difficile à avaler. L’appel aux sacrifices et à la responsabilité collective, c’est aussi une belle manière pour les gouvernants.es de se dédouaner.
Dernière absurdité en date, ces membres du personnel hospitalier qui manifestent contre la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu à Paris le 6 novembre dernier, en plein rebond de l’épidémie de COVID-19, et qui se font verbaliser pour non respect du confinement (21 verbalisations au total). Il faut sans doute y voir la déclinaison du moment du fameux « en-même temps » macronien : on assigne la population à résidence, on lui fait porter le poids de la crise sanitaire et en même temps on ferme des services d’urgence. C’est d’une logique implacable.
Cette crise sanitaire fournit aussi un excellent prétexte à l’accélération de la digitalisation du monde. Tout continue progressivement à se dématérialiser : le travail, l’enseignement, les services, la consommation, la surveillance, les rapports sociaux… Le monde devient à porté de clic. Et il y a fort à parier que cette digitalisation de nos existences poursuivra sa marche en avant bien après cet épisode de crise sanitaire, avec toutes les conséquences que l’on connaît (repli sur soi, augmentation du temps travail, surveillance accrue) et toutes celles que l’on ne connaît pas encore.
Des projets de lois vénères
En plus de ça, on assiste actuellement à une déferlante de projets de lois plus autoritaires et sécuritaires les uns que les autres. L’instrumentalisation politicienne des derniers événements tragiques et sanglants que sont la mort de Samuel Paty et les attentats de Nice ne semble pas avoir de limite. En témoigne l’élaboration du projet de loi dit de « Sécurité Nationale » par le ministère de l’intérieur. Voici ce que prévoit en substance ce projet de loi présenté par le député Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID (travail de synthèse effectué par le journaliste François Malaussena) :
- Les articles 1 à 5 permettent de donner de nombreux pouvoirs aux polices municipales : mettre des PV, contrôler et saisir, mettre des sabots, mettre en cellule de dégrisement.
- L’article 4 permet notamment à Paris de se doter de sa police municipale.
- Les articles 7 à 19 ouvrent les vannes de la sécurité privée en leur permettant contrôles, constatations et verbalisations d’infractions et même lutte anti-terroriste… L’article 15 incite d’ailleurs les policiers retraités à faire de la sécurité privée.
- L’article 20 donne l’accès aux images des caméras de vidéosurveillance aux polices municipales et aux douanes, en plus de la police nationale et de la gendarmerie.
- L’article 21 ne rend toujours pas obligatoires les bodycams... mais s’il y a des images qui sont tournées, elles peuvent être visionnées et transmises au QG en direct.
- L’article 22 permet de filmer par drones. Et ne faites pas l’erreur de penser que c’est uniquement pour les CRS en manifs... C’est pour plein de gens, dans plein de circonstances.
- L’article 23 limite les réductions de peine pour toute infraction commise contre un dépositaire de l’autorité publique.
- L’article 25 autorise les policiers, gendarmes, à porter leur arme hors service dans des lieux publics, restaurants, parcs, cinémas…
- Les 28 et 29 c’est sur les contrôleurs SNCF/RATP et les contrôles d’alcoolémie.
- L’article 30 pénalise la détention de feux d’artifice
Au passage et même si cela n’a pas tout à fait à voir avec notre propos, le projet de réforme qui concerne l’enseignement supérieur connu sous le nom « LPR » vient d’être enrichi d’un paragraphe qui, grosso modo, fait du blocage et de la contestation à l’université un délit passible de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amendes :
« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal. »
De la république en veux-tu en voilà
Autre sujet de crispation du moment, « L’islamo-gauchisme », sorte de version actualisée du « judéo-bolchévisme » de l’entre-deux-guerre, est devenu le nouvel ennemi intérieur à abattre (cf les dernières sorties des ministres de l’éducation nationale et de l’intérieur en la matière). Le tout avec la complaisance au mieux, la surenchère au pire, d’une large partie du spectre médiatique audiovisuel. Il semblerait bien que la bataille pour l’hégémonie culturelle soit en passe d’être gagnée par l’extrême-droite, tant ses éléments de langage sont repris à l’envi par Cnews et la cohorte de chaînes d’info en continu.
Dans le même temps, le mot République est devenu une sorte de mot magique. Un Totem d’immunité tout droit sorti de Koh-Lanta. Celui.elle qui s’y réfère publiquement se pare immédiatement de vertus humanistes et altruistes. Il.elle ne peut-être que du côté du bien. Tout s’efface comme par magie. Marine Le Pen, Gérald Darmanin, Eric Zemmour deviennent soudainement des personnes fréquentables. On en arrive à ce sublime paradoxe linguistique : la république neutralise la politique. Être républicain, c’est être au-dessus de la mêlée. Mais c’est oublier un peu vite que la république ça n’est pas un concept abstrait immaculé. La république c’est un régime politique qui, historiquement, a pris bien des formes différentes de l’antique république romaine à la très contemporaine république populaire de Chine en passant par l’éphémère république de Salo fondée par Mussolini en 1943 ou la république espagnole antifasciste de 1936. Au fond, la République, plus qu’une devise vide de sens, c’est ce que les gens en font. D’ailleurs, c’est ça que signifie le mot république : Res publica, la chose publique.
Par exemple, quand on parle de république française, de quelle république parle-t-on exactement ? Celle de Jules Ferry, qui au nom de l’universalisme et de l’idéal civilisateur, colonise, asservit, massacre, exploite une partie du monde pendant plus de 70 ans (cf la colonisation) ? Celle qui, le 1er mai 1891 à Fourmies dans le Nord, tire sur des ouvriers et des ouvrières qui revendiquent le droit de travailler seulement 8 heures par jour, faisant 10 morts et 35 blessés ? Celle qui voit députés et sénateurs voter les pleins pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 ? Celle qui noie les algérien.ne.s dans la Seine le 17 octobre 1961 ? Celle dont la police blesse, tue et mutile régulièrement et souvent en toute impunité ? Celle qui veut interdire aux collégiennes et lycéennes de porter des vêtement au-dessus du nombril ? Celle qui met des enfants de moins de dix ans en garde-à-vue pendant plusieurs heures ? [1]
Ou bien celle qui coupe la tête du monarque Louis XVI en 1793 puis qui met à bas pour la seconde fois la monarchie en France en 1848 et se proclame République sociale pendant quelques mois, avant d’être renversée par une bourgeoisie avide d’ordre et de morale ?
Visiblement, l’histoire de la république en France, pas plus que le sens même du mot, ne méritent d’être examinés. En témoigne les propos tenus récemment par la Secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement lors d’une rencontre avec 130 adolescent.e.s venus de toute la France autour de la question des religions dans la société, qui s’est tenue le 22 octobre à Poitiers. Lorsqu’un des adolescents présents évoque « les violences policières » et les contrôles au faciès dont certains s’estiment victimes, la ministre se lève d’un bond, n’hésitant pas à l’interrompre pour lui expliquer qu’« il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien. Elle ne peut pas être raciste, car elle est républicaine ! ». A une lycéenne qui expose les discriminations qu’elle subit à l’école parce qu’elle est musulmane, la ministre répond ceci en l’interrompant « « Je ne peux pas laisser dire ça ! La République protège ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Elle apprend aux jeunes à être des citoyens libres. Dans notre pays, c’est la liberté, l’égalité et la fraternité, en tout temps et en tout lieu. Notre jeunesse doit faire vibrer les valeurs républicaines partout. De la même manière que la police nous protège, l’école nous instruit. ». Pour terminer, la ministre s’en va, visiblement en colère, menaçant de faire remonter tout ça au ministère de l’intérieur…
Et un sursaut de révolte
Heureusement, dans le marasme ambiant certain.e.s trouvent la force de se révolter. Un gros Big up ! À tout.e.s les lycéens et lycéennes qui depuis plus d’une semaine et malgré la répression féroce qu’ils et elles subissent se révoltent contre ce monde de merde. Ils et elles nous montrent l’exemple. Suivons-les !
Signé : un confiné pas résigné.
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