Retour sur la manif spontanée du 25 mai à Strasbourg et ses suites

Strasbourg (67) |

Suite à la mort d’un homme sans-abri dans le parc des glacis, un rassemblement suivi d’une manif ont eu lieu samedi 25 mai dernier pour dénoncer la gestion de la misère par les autorités. Une nouvelle manifestation est apppelée pour ce samedi 8 juin à 13h au départ de la Gare de Strasbourg, jusqu’à la place Kléber à 14h.

Le matin du samedi 25 mai 2019, à Strasbourg, un homme est retrouvé mort, pendu à un arbre, au bord du canal des remparts, dans le parc des glacis, au nord-ouest de la ville. À cet endroit, depuis plusieurs mois, s’est improvisé un campement, où vivent en tente plusieurs dizaines de personnes sans-abri.

Aux alentours de 9h30-10h, la police, appelée par des habitants, vient chercher le corps sans vie sur le campement, celui d’un jeune exilé afghan. Ce matin-là, les habitants, choqués, sont rapidement rejoints par quelques soutiens extérieurs au camp. Depuis quelques semaines, un collectif solidaire et une association émanant d’habitants des tentes (La roue tourne) cuisinent ensemble pour les personnes vivant dans les différents campements de l’agglomération strasbourgeoise. Des membres d’un collectif antiraciste et antifasciste qui se rend régulièrement sur le camp sont également présents.

L’ambiance est électrique : le 115, l’accueil de nuit voisin, etc. sont accusés d’être responsable de la mort du jeune homme. Spontanément, l’envie germe de manifester au centre-ville pour dénoncer les conditions faites aux personnes sans-logement, zonards, familles, sans-papiers. Des banderoles sont confectionnées sur les berges : « La rue en deuil, États criminels », « Kobi Habib for ever », « 115 : ennemi public numéro 1. 1 non = 1 mort », etc. et le rendez-vous commence à circuler. Différents points de vue s’expriment : certains habitants ne jugent pas souhaitable le rassemblement, d’autres ne veulent pas s’y joindre.

Le rassemblement se tient à 17 h place de la gare. Le soleil illumine le parvis. Le samedi étant un jour de cuisine collective, la tambouille a continué d’être préparée. Le repas est amené sur place en carriole à vélo. Une autre partie sera distribuée sur un autre campement, dans le quartier du Neuhof.
Les prises de parole des habitants du camp s’enchaînent au mégaphone, des personnes viennent s’enquérir des raisons du rassemblement, très visible. C’est un des premiers samedis de beau temps : de nombreux·ses strasbourgeois·es sont de sortie.

Vers 18h30, une quarantaine de personnes se dirige vers la place Kléber par la rue piétonne du maire Kuss. Dans la manif, inattendue dans ces rues commerçantes, les slogans ne tarissent pas ; « Justice pour Habibi ! » revient souvent. On enfile la ligne de tram rue du vieux marché aux vins jusqu’à Homme de fer, où le cortège bloque la jonction des 4 lignes de tram. Puis, on se retrouve autour de la statue de Kléber au centre de la place, où les banderoles sont accrochées. Les prises de parole reprennent, généreuses, certaines sont traduites en direct.

Aux alentours de 19h30, le groupe décide de reprendre la route en direction du camp, immobilisant encore au passage plusieurs trams. Rue du faubourg national, une arrestation est signalée par un ado en vélo qui suit la manif. Alors que, réactif·ves, quelques-un·es courent en arrière demander des comptes aux flics qui nous talonnent, l’info est démentie. La situation devient plus confuse. On peut regretter qu’il n’y ait pas eu plus d’unité au sein de la manif et de vigilance vis-à-vis des flics : on apprendra plus tard, que D. a, en effet, été violemment interpellé alors qu’il était détaché du reste du groupe. Le groupe se disloque de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. La police, jusque là sur la réserve mais jamais bien loin, se rapproche.

Un centre d’hébergement (dit « de stabilisation ») qui jouxte le musée Vaudou est visé par des cris de colère et de dégoût, et le prochain objectif fait gronder les participant·es : « Bayard ! on arrive ! » est repris avec une rage de moins en moins contenue. Sous l’œil des caméras de surveillance, la rue du rempart est totalement cernée par de hauts grillages verts depuis l’été 2018. Son urbanisme oppressant constitue le paysage quotidien d’un grand nombre de galérien·nes aux prises avec les institutions.

À gauche, l’accotement sert de parking, et l’ancien campement des Rroms, lui aussi ceinturé par une clôture, a été évacué par la ville depuis plusieurs mois [1]. À droite, des anciens bâtiments militaires dont celui qui abrite l’« Espace Bayard », dans laquelle l’association « Horizon amitié » gère notamment un accueil de nuit [2] et des permanences d’assistant·es sociaux·les.

À cet endroit, les nerfs lâchent et les grilles en métal qui séparent la rue de la cour du centre sont arrachées à pleines mains. Des personnes font irruption dans le foyer, des chaises volent, une table tombe. Dehors, ça hésite et on repasse côté rue pour se faire serrer contre le grillage quelques mètres plus loin. On saura le lendemain qu’une première arrestation a eu lieu juste avant, devant Bayard, juste après le départ de la manif.

Dans la nasse, deux personnes sont d’emblée séparées du reste du groupe par la Bac. Celles et ceux qui peuvent justifier de leur identité par un papier officiel sont relâché·es au compte-goutte. Six autres passeront une heure de plus pour vérification d’identité au comico central. Un mineur (le jeune à vélo qui nous avait averti de l’arrestation faubourg national) se serait fait arrêté après tout le monde, et serait resté 48 heures en garde à vue. Nous n’avons pas eu de ses nouvelles directement.

Une personne sort blessée un peu moins de 24 heures plus tard après des coups portés par deux policiers. Trois autres sortent plus tard, sans poursuite à notre connaissance. En revanche D., dubliné en Italie, est envoyé en CRA le lundi 27 mai, à l’issue d’une garde à vue de 48 heures. Il risque dès lors l’expulsion vers l’Italie. Jeudi 30 mai, contre toute attente, il est relâché sur décision du juge des libertés et de la détention (JLD). Une accusation pour outrage et résistance violente à son interpellation continue de peser sur lui. Ce procès doit avoir lieu en octobre. À noter qu’un rassemblement solidaire s’est tenu le jour de son audience devant le palais de justice de Strasbourg.

La semaine qui a suivi ces événements a été très tendue sur le camp. Des habitants l’ont quitté pour s’installer ailleurs et espèrent pouvoir organiser collectivement une meilleure entraide, construire une cuisine de plein air, etc.

Grâce à des habitants du camp, la famille de Soroush Habib a pu être informée de sa mort et son enterrement a eu lieu le 4 juin.

Une nouvelle manifestation aura lieu samedi 8 juin à 13h devant la gare de Strasbourg, suivie à 14h d’un rassemblement place Kleber contre l’arrêté anti mendicité.

(photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)


Notes

[1Les personnes qui y vivaient ont été progressivement déplacées sur un terrain plus à l’écart du centre ville, dans le quartier de Cronenbourg.

[2Chacun·e appréciera le cynique décalage entre les mots et l’ambiance carcérale des lieux. Dans cet accueil de nuit, les recalé·es du 115 peuvent dormir assis sur une chaise. Il leur est interdit de s’allonger. Les vols, les bagarres, les exclusions y sont monnaie courante.