Nancy : un influenceur pris en otage !
Connaissez-vous Sébastien Duchowicz, influenceur lorrain, gérant de boutique et chef des commerçants de Nancy ?
Attention c’est pas n’importe qui Sébastien, c’est LE self-made man lorrain, LE gars du toulois qui a réussi, LE « boss du commerce ». Pour le journal neutre© et objectif© La semaine, « il est passionné par son métier, attentif aux autres ». Il est aussi président de l’association des vitrines de Nancy, dont l’objectif est de « promouvoir le commerce et l’artisanat du coeur de ville et de fédérer l’ensemble de ces acteurs. » Il est même l’un des fondateurs du Fonds de dotation Bourse M.A.I. qui soutient les jeunes talents de l’école de musique privée [1] M.A.I. Cette structure permet aux entreprises donatrices d’obtenir un crédit d’impôt de 60 % (encore ça que les services publics n’auront pas !) et de passer pour une entreprise soucieuse du bien être de ses contemporain·e·s auprès des actionnaires [2].
Bref, Seb (c’est comme ça qu’on l’appelle à la mairie) est un vrai notable nancéen, quelqu’un qui compte et dont l’avis est important. Tellement important qu’il est interviewé tous les ans pour parler des soldes, pour dire qu’il pleut alors les gens consomment moins, que l’esprit de Noël c’est quand même magique, que les gens illes consomment mais pas tant que ça mais quand même un peu ou que les grévistes illes font chier parce qu’illes nuisent au bénéfice au chiffre d’affaires des commerçant·e·s [3].
Le 28 janvier 2021 donc, dans un article du journal objectif© et neutre© actu.fr, Sébastien, indigné, venait dénoncer. Oui, Sébastien, il est comme ça, il est vrai, il dit ce qu’il pense, il a pas peur des mots : « Nous, on en a marre. On se sent toujours pris en otage ! ».
Oui, en otage mon bon monsieur ! Il ne manque plus qu’un soutien officiel de la part d’Ingrid Bettancourt et on ferait presque pleurer dans les chaumières.
Et puis, c’est son ressenti à Sébastien et à ses commerçant·e·s, alors ce serait pas sympa de critiquer ce qu’il dit, faut l’écouter !
Juste une parenthèse avant de continuer : on est d’accord, prendre en compte les ressentis des gens c’est important, mais il faut aussi les prendre pour ce qu’ils sont : des émotions face à une situation.
Et c’est important de dire qu’on ne prend pas en compte tous les ressentis dans toutes les situations et qu’on décide de donner une priorité aux ressentis des exploité·e·s et des opprimé·e·s. Sinon, on est parti·e·s pour donner de l’importance à la souffrance des banquiers, des actionnaires, des propriétaires, des maris violents ou des agresseurs sexuels... Et je me fiche du ressenti de ces gens-là. Après, si la souffrance des privilégié·e·s c’est un truc qui t’intéresse, tu peux monter ton asso de soutien aux patrons, aux pères en colère ou aux propriétaires toulousains.
Mais revenons à nos moutons.
Pourquoi, les gens, illes consomment plus ?
Cher Sébastien. Je voudrais dire, une bonne fois pour toutes, qu’une prise d’otage ça n’est pas ça. Une prise d’otage, c’est enlever une personne qu’on ne relâchera qu’après satisfaction de revendications, avec de la torture, des viols et des exécutions en option. Oser utiliser le même mot pour parler d’une manif au centre ville de Nancy qui bloque le tram pendant quelques heures, c’est indécent.
À ma connaissance, personne n’a été enlevé durant les manifs à Nancy [4].
Donc là, Sébastien, tu nous dis des carabistouilles. T’estimes que les gens ne viennent pas suffisament dans ton magasin, donc t’accuses les manifs ?
Au cas où tu n’aurais pas vu, il y a une pandémie mondiale, accompagnée de réelles incertitudes pour l’avenir de pas mal de monde, avec des pertes d’emploi et de revenus. Ça explique peut-être que "les gens" consomment moins. Mais je ne suis pas sociologue hein, c’est peut-être la faute à la météo...
Même tes petits camarades de l’Est repugnant ont publié un sondage, qui vaut ce qu’il vaut, mais où on voit bien que les personnes interrogées sont pas particulièrement motivées pour dépenser de l’argent le dimanche.
Est-ce que défendre les commerçant·e·s, c’est pas défendre le profit d’une minorité ?
Grande question à laquelle il n’y a pas vraiment de réponse, tant les "commerçant·e·s" ne sont pas un groupe homogène. Car entre la boutique de fringues de Seb et le McDo, il y a un monde. Et la catégorie "commerçant·e·s" n’est généralement pas définie. Mais puisqu’on nous demande de soutenir « les commerçant·e·s », je vais me permettre de parler de ces gens là.
Ce n’est un secret pour personne : le commerce désigne l’activité économique d’achat et de revente de biens et de services, en particulier l’achat dans le but de revendre avec un profit ou un bénéfice. Et ça tou·te·s les commerçant·e·s le savent. Il n’y a pas de petits profits et l’argent n’a pas d’odeur.
On fait des bénéfices comme on peut, en trichant sur le fonds de solidarité COVID ou sur le chômage partiel durant le confinement, tout en expliquant régulièrement qu’il y a trop de cotisations sociales charges et que ça étouffe les petits patrons [5].
Et puis, les commerçant·e·s ont aussi bénéficié d’argent public local ces derniers temps avec la plateforme de vente en ligne de Nancy et ses chèques cadeaux pour aider les petit·e·s marchand·e·s tel·le·s que les vitrines de nancy (lol), la Fnac (mdr) ou le Bagelstein (xptdr). Et c’est tant mieux si l’argent public sert à consolider les bénéfices d’une catégorie de personnes, plutôt qu’à augmenter le nombre de lits dans les hôpitaux, euh... enfin je crois, non ?
Finalement, ce qui se cache derrière l’appel à soutenir "nos" commerçant·e·s, c’est un appel à soutenir le capitalisme. Un appel à soutenir un système économique inégalitaire où les plus riches s’enrichissent sur le dos des plus pauvres.
Un système où on accepte d’être humilié·e et exploité·e par un patron, un banquier ou un propriétaire à condition de pouvoir humilier et exploiter celles et ceux qui sont en dessous de nous dans l’échelle sociale.
Et cet appel invisibilise complétement les personnes qui, avec le confinement, ont aussi vu leur vie s’écrouler mais qui n’ont pas l’audience de Sébastien. Lui, il nous parle de sa gueule, des petits patrons qui souffrent. Il aurait aussi pu dire : « La situation est complexe pour nous les commerçant·e·s, mais je profite de la visibilité qui m’est accordée par les médias nancéens pour attirer l’attention des pouvoirs publics et des citoyen·ne·s sur les situations bien pires des sans papiers dans les CRA, des femmes qui sont obligées de rester enfermées avec leur conjoint violent et de toutes les personnes qui ont perdu leur emploi car licenciées par des patrons qui pensent d’abord à leurs profits et à leur résidence secondaire. »
À part ça, le capitalisme va bien, merci, et vous ça va ?
À t’entendre, Sébastien, c’est en permanence la crise pour les commerçant·e·s. Depuis que le commerce existe, les marchand·e·s se plaignent de ne pas s’en sortir. Ou plutôt, de ne pas s’en sortir mieux que les autres. Car l’esprit du capitalisme, c’est ça aussi, faire croire que tout le monde a les mêmes chances de s’en sortir, mais que seul·e·s les meilleur·e·s s’en sortent et qu’une rolex est le summum de la réussite. Alors qu’en réalité mon cher Sébastien, dans le système capitaliste, s’il y a des gagnants, c’est qu’il y a des perdants. Et on est toujours le perdant de quelqu’un. Toi, de qui es-tu le perdant ?
La réussite individuelle pronée par le capitalisme est un mensonge. On ne se fait jamais tout·e seul·e. On ne vit pas tout·e seul·e en dehors de la société. Personne n’est jamais parti de rien pour réussir en solo. Les gens qui soutiennent le contraire sont des gens qui vivent dans des conditions favorables et qui refusent d’admettre que c’est grâce à leurs réseaux, leur famille, leurs ami.e.s, leurs divers privilèges ou leur scolarité qu’illes ont réussi [6]. C’est plus facile de dire qu’on a réussi parce qu’on a bossé dur et que celles et ceux qui ne réussisent pas sont des fainéant·e·s.
Comme les commerçant·e·s qui ne s’en sortent pas alors ? Ysonka se diversifier un peu, ysonka se secouer un peu, ysonka vendre sur amazon, quelle bande d’assisté·e·s ! [7]
Eh oui, si tu adhères à l’idée que seul·e·s les meilleur·e·s s’en sortent, viens pas chouiner si tu t’en sors pas, t’avais qu’à être bon·ne.
Sinon, camarade commerçant·e, tu peux renoncer à ton profit individuel et militer pour une meilleure répartition des richesses, mais là c’est une autre histoire, une histoire où l’on parle de révolution et d’anticapitalisme.
ERSJ
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