Petit sergent, grande symbolique

Nancy (54) |

Vous êtes sûrement déjà descendu·e à son arrêt de tram, passé·e devant sa statue ou dans la rue qui porte son nom. Si elles sont là dans la ville de Nancy, c’est que le sergent Blandan doit avoir un rapport historique avec la ville ? Ce n’est pas du tout le cas. Mais alors à quoi nous renvoient ce grade et ce nom ?

Qui est le sergent ?

Tous les jours vous passez devant sans vous poser la question de qui était Jean Pierre Hippolyte Blandan et pourquoi il a un arrêt de tram et une rue à son nom ainsi qu’une statue à son effigie à Nancy. Mais depuis 2020 et les mouvements de déboulonnage de statues mettant en lumière la violence symbolique qu’elles peuvent renvoyer, on peut se poser la question.

Quand quelqu’un a une statue de lui dans une ville on imagine souvent, surtout quand on n’est pas un « grand personnage historique », que cette personne a une histoire liée à la ville.

Jean Blandan est né à Lyon le 9 février 1819, c’est le fils d’un employé d’octroi de la ville de Lyon. Engagé à l’âge de dix-huit ans, Blandan est affecté dans l’armée d’Afrique dans le 26e RI et partira coloniser l’Algérie, on n’est pas sur des faits historiques très glorieux.

Le 26e RI fait partie des colonnes qui sillonnent le pays pour harceler l’ennemi des colons et permettre le ravitaillement des places fortes. En 5 ans, Jean passera sergent et participe entre 1837 et 1844 à tous les combats (Constantine, Alger, Oran).

1er avril 1842, il est désigné pour commander 21 hommes dans une mission d’escorte d’un convoi transportant le courrier entre la garnison du camp d’Erlon de Boufarik et celle du camp Blida de Beni-Mered. Ils sont attaqués par un groupe de trois cents cavaliers arabes. Face à cette manifeste infériorité numérique et plutôt que de fuir, le sergent refuse de déposer les armes, une belle connerie. Il exhorte ses soldats à résister, ordonnant : « Courage, mes amis ! Défendez-vous jusqu’à la mort ! » Les secours, alertés par le bruit de la bataille entendu depuis Boufarik, n’y trouveront que cinq français survivants. Le sergent Blandan meurt de ses blessures à l’hôpital de Boufarik le 12 avril.

On peut se dire « Pas très tactique, ce sergent », mais c’est pourtant bien pour cette bêtise suicidaire que Blandan s’est fait connaître. L’armée adore les histoires de personnes qui donnent leur vie (et celle de leurs soldats) pour elle.

Dès que fut connu le « fait d’armes » de Beni-Mered, la municipalité de Lyon fit ériger un monument commémoratif sur les lieux du combat et le gouvernement autorisa l’érection a Béni-Mered d’un obélisque haut de 22 mètres en l’honneur du sergent. En en mai 1887 se déroula l’inauguration d’une statue du sergent Blandan au carrefour de la route d’Alger à Blida en plein centre-ville.

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Mais alors Nancy dans tout ça ?

On l’a vu, le sergent n’a aucun lien avec la cité ducale. On donna une rue à son nom en 1886 pour « honorer le 26e RI » en garnison à l’époque à Nancy. Vlà la raison, qui a fait polémique à l’époque.

La statue qui était érigée à Blida se retrouve à Nancy un peu par hasard presque un siècle plus tard. En 1962, à la veille de l’indépendance de l’Algérie la statue a subi des dommages sur ses bas-reliefs, et le monument est rapatrié en France un an plus tard sur ordre des forces françaises. Après réflexion, la statue a été positionnée dans la cour de la caserne Thiry à Nancy.

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Ce n’est qu’en 1990 qu’elle est déplacée sur la place de Padoue au bout de la rue Blandan, après une décision du maire de l’époque, André Rossinot.

Qu’est-ce que représente le sergent Blandan ?

On l’a vu, Jean Blandan ne représente pas des valeurs très positives, il est déroutant de se dire que l’aveugle dévouement militaire et la France coloniale sont encore affichés aussi ostensiblement dans nos rues.

Mais alors pourquoi glorifier un homme et un grade ? Parce que l’histoire que l’on raconte, c’est l’histoire des vainqueurs, l’histoire telle qu’elle a été vue et vécue par ceux qui avaient le pouvoir et les moyens de faire de leur point de vue l’Histoire. Ces objets culturels attestent du fait que beaucoup de noms et de traces ont en effet été effacés de notre histoire, que beaucoup de voix n’avaient jamais eu droit de cité. Que l’histoire qu’ils racontent n’est pas « la nôtre », mais celle des colons, des militaires et d’André Rossinot.

Cette statue est un outil de glorification au service d’une idéologie militaire coloniale et d’une certaine conception de notre histoire. On peut se demander pourquoi le sergent Blandan a encore une rue, un arrêt de tram et une statue dans Nancy ou ailleurs dans le monde car rien de ce qu’il représente n’est défendable.

Et rappelons-nous de cette phrase prononcée il y a bien longtemps par un grand philosophe : « Personne par la guerre ne devient grand. »