On est si proche de l’enfermement

Nancy (54) |

Vous n’êtes pas nombreux.ses à être entré en prison. Vous ne savez pas réellement ce que cela signifie d’être jugé.e et enfermé.e dans des murs modernes, dans des cloisons neuves de béton armés. La plupart d’entre vous, comme moi, vivez du privilège de la critique, de cette chance qui nous permet de regarder le monde sans en connaître les recoins les plus infâmes. Je vous invite un instant à franchir la porte que franchissent habituellement ceux qu’on ne regarde pas dans les yeux, celles qui ont fait le pire, ceux qui n’ont que leur soupir en guise de compagnon.

Accueil famille

La prison de Nancy se situe sur le charmant plateau du Haut-du-lièvre, la où les gens du reste de la ville vont peu. Il y a ces barres gigantesques d’immeuble, il y a l’IRTS que certain-es connaissent et puis quelques magasins récemment rafraichit par le bon vouloir de la gentrification.

Le haut-du-lièvre est un quartier que je ne connais pas. C’est une zone que je traverse à vélo car je suis écolo et il m’est arrivé d’y boire un café maintenant que je sais ce qu’est un parloir.

Depuis quelques années le quartier a été dynamisée par une nouvelle entreprise, la start-up préférée des puissants, celle qui rapporte beaucoup en enfermant ceux qui ne comprennent pas les règles.

J’étais comme beaucoup de lecteur et lectrice de presse altérnative, je condamnais le principe d’enfermement. A quoi bon mettre des récidivistes avec des matons qui votent FN dans des murs fabriqués par Bouygues ? Je ne le sais toujours pas.

Mon premier jour, à l’accueil famille, je n’ai rien compris dans ce lieu où rien ne s’explique.

Il y a des catholiques à la retraite qui font du café dans un « espace » plein de casiers, de règlements muraux et de paroles anonymes. Il y a beaucoup de femmes dans ce lieu là, au parvis du carcéral.

Nous sommes à quelques dizaines de mètres d’une construction immense de béton.

Il y a beaucoup de femmes ici, peut-être parce qu’il y a beaucoup d’hommes là-bas. Moi ce qui me rassure c’est la même chose qui m’effraie le plus, c‘est les enfants qui rigolent. Ces mêmes enfants qui vont le voir, lui, cet inconnu dont je devine les traits sur les visages des enfants qu’il a laissé dehors. Qui es-tu pour avoir fait ces gamins et être là enfermé dans du béton ? Pourquoi es-tu rangé là alors que moi et mes ami.es on va à la fac, au ciné ou au MacCarthy ?

Premier couloir

Le premier couloir n’existe pas. C’est la même ligne que nous suivons tous pour aller de l’accueil famille jusqu’à l’entrée de la prison. L’entrée est grise comme le pire jour lorrain et devant la porte il n’y a pas de préau. J’avais déjà les idées à l’époque mais pas la franchise des pauvres comme celui qui ce jour d’hiver a demandé à ce qu’on laisse entrer en premier la femme qui tenait son nourrisson sous la neige.

Pour entrer dans la prison il y a un ordre et c’est la prison qui le décide. Chaque personne : homme revendicatif, femme allaitante ou nourrisson sans rapport doit savoir une chose : pour entrer en prison, vous devez être humilié.e. Peu importe ce qu’il a fait celui qui vous attend, peu importe qu’il ait été jugé ou non, coupable ou non, cette porte signifie une chose : tu dois te taire et faire savoir à tous ce qui te ressemblent, ceux qui parlent bizarrement le français, celles qui sont pas très blanches, ceux qui boîtent, qu’ils n’ont qu’une chose à faire : se taire bien fort.

Je me rappelle comment le maton a sabré la belle classe moyenne de mon père en le faisant marcher pied nu et sans ceinture sous le détecteur à métaux, il se croyait innocent alors qu’il avait adopté un enfant noir. Entre une femme voilée et un Roumain, papa marchait dans le droit chemin de la république pour voir son fiston. Il suivait la queue-leu-leu des va-nu-pied, celle qui baisse la tête quand on lui rappelle que la famille est forcement coupable de ce qu’a fait « le proche ».

Bleu horizon

Ce n’est pas pour le plaisir de faire ressembler ces lignes à un film glauque que je raconte ça. A Nancy, au haut-du-lièvre, à 4 minute de l’arrêt « Tamaris » de la ligne 2, il y a un endroit où tout est gris.

Les portes évidemment, les murs on s’en doutait, mais les visages également. Les personnes qui travaillent et celles qui vivent ici absorbent l’absence de couleur des murs qui les cernent. Leur cheveux frisent comme des barbelés et leur pupilles brillent comme des gyrophares.

Il est interdit d’apporter des vêtement bleu marine aux détenus car ils pourraient se faire passer pour des matons. Cette règle est l’une des dix milles règles, officielle ou non, qui régit la vie entre ces murs. « Pas de livre à couverture cartonnée », « pas de parloir le lundi », « pas de modification de parloir 48h avant », « pas de feutre sans autorisation du directeur », « pas de … », « pas de … », …

Après le sas de contrôle, le tourniquet inutile et l’attente de l’ouverture, on découvre le bleu du ciel depuis l’intérieur. Le bleu sans horizon. Il y a tellement de gris autour que même par grand ciel on pourrait croire qu’il fait moche. Il y a peut-être 6 ou 7 mètres de hauteur de béton et puis une autre grille au milieu de rien, un côté mène à l’administration et l’autre mène à une grille qui mène à une porte blindée.

Attente

On peut dire beaucoup de chose de la prison mais pour la résumer c’est très simple, tout n’y est qu’attente. L’impatience est l’ennemi car le geolier aime retourner le sablier. Tu ne sais jamais quand la porte va s’ouvrir, tu ne sais pas quand tu seras jugé, tu espères que la parloir va durer plus longtemps, tu espères que le dossier sera traité bientôt, tu attends le moment où ça ira mieux.

Pour faire patienter il y a les articles de l’envolée, il y a les décisions du juge, il y a la résignation de celui que tu aimes et il y a des petits panneaux à l’attention des visiteurs que parfois les enfants se mettent à lire alors qu’ils apprennent à l’école à déchiffrer les phrases.
— Maman ça veut dire quoi « suicide » ?
La gamine vient de lire le panneau de prévention aimablement posé dans la salle d’attente.
— Euh, suicide … c’est quand… euh

Heureusement la porte s’ouvre. Le geolier ne regarde personne mais évite à la mère le besoin d’expliquer à sa fille ce que la société nous inflige, il prend son papier et lit à la chaîne les noms des détenus assorti du numéro de box qui est attribué à la rencontre.

Deuxième couloir

A Nancy on rencontre son proche dans un box de 6m carré, haut de plafond et muni d’une table et de quatre chaises. Ici on parle, on s’explique, on détricote des affaires, on fait passer des trucs, on joue parfois avec les gamins comme si c’était normal et on retient ses larmes. On y est fort pour soutenir l’autre, on y est ferme pour le guider, on y est tendre pour l’encourager, on y est blazé.é pour lui faire comprendre. Le parloir est un petit espace de 6m carré où il y a une porte devant et une porte derrière où par intermittence on voit se profiler l’amoureux visage de l’Etat qui, par le biais du maton, fait savoir qu’il est là, tout proche, prêt à intervenir.

Parfois on attend seul. Ca peut durer 10, 15, 20 minutes et la prison vous dit qu’il y a « refus de parloir ». L’expérience m’a appris que le refus de parloir est généralement une manière de dire que « ton proche » n’a pas été averti à temps ou que pour une raison X ou Y l’administration n’a pas souhaité qu’il soit présent. Aussi lugubre soit-il, le parloir est la passerelle qui tient les détenus au monde des vivants. Il est la raison pour laquelle les prisons s’enflamment quand on leur interdit de voir leur famille en cas de pandémie. Le parloir a ceci de juste qu’il est une parole et que sans elle les détenus n’existent pas. Si leur paroles n’existent pas, c’est tout l’univers carcéral, cet inconscient de notre société, que l’on voile derrière notre indifférence.

Sortie

On ne sort jamais réellement de la prison. Après le parloir se joue à revers le texte que vous venez de lire. On attend. Il y a ce moment interminable dans le sas où on attend de savoir si quelqu’un a passé « un truc » et qu’il va falloir rendre des comptes si les matons l’ont attrapé. Il y a les sourires des familles venues de loin qui trouvent « qu’il allait bien », il y a les larmes à demi contenues dans les cernes des mères à bout, il y a le néant dans la pièce qui attend d’être d’ouverte, et les enfants qui souvent le mercredi prennent la taule pour une aire de jeu.

Je repasse les sas, les portes et les matons à qui ça m’arrache la gueule de dire un mot et je remonte sur mon vélo, je traverse le plateau du haut-du-lièvre en pensant au jour où tu sortiras. Je suis tout en haut près de la piscine de Gentilly et je dévale la pente qui porte le nom d’avenue de La Libération.

Mes pensées s’entremêlent sur la haine du béton qui me fait glisser aussi vite que mon envie de briser les murs. Je pense à celles et ceux qui se plaignent d’être confiné.es sans savoir que 70.000 n’ont plus la possibilité de jouer au foot, d’avoir des cours, ou de voir leur famille parce qu’ils ont été jugés ou non par le système carcéral français qui les traite comme des chiens.

Aujourd’hui il n’y a plus de pente, plus de libération ; seulement des permis à tout va pour sortir une heure dehors, le temps d’un parloir que je ne peux te consacrer.

Je m’imagine faire du vélo dans ma chambre comme toi tu t’imagines marcher dehors depuis toutes ces années. J’ai l’audace de croire qu’on tirera le meilleur du pire et que du confinement, des banlieues ou des prisons il ne pourra que naître la sortie de notre choix.

A toutes les familles de détenu.es et toutes les personnes qui ont un peu plus qu’un flic dans la tête je vous affirme qu’il n’y aura pas de changement sérieux sans remise en cause du système carcéral.

N’oubliez pas que la Bastille était une prison et que le 14 juillet revient tous les ans.

Article paru dans l’Assemblage #2