Lycée 4.0, comment cela ne marche pas…



Depuis la rentrée 2017, la région Grand Est a souhaité passer au lycée numérique, pompeusement rebaptisé « Lycée 4.0 », en équipant chaque lycéen des établissements concernés d’une tablette ou d’un ordinateur portable, et en passant au manuel numérique. Vingt-deux lycées de l’académie de Nancy-Metz sont passés au numérique à la rentrée 2017.

Les problèmes techniques, notamment de connexion, ont été tels que, dans les lycées de la première vague de numérisation, pour parler le jargon de la DANE (Délégation académique au numérique éducatif), il y a eu autour de 3 millions de photocopies par établissement faites en 2017-2018, car il était impossible d’accéder aux manuels numériques.

D’où la blague chez les enseignants ayant l’honneur et l’avantage d’enseigner dans l’un des lycées 4.0.

À qui reconnaît-on un lycée 4.0 ? C’est là qu’il y a la plus longue file d’attente à la photocopieuse…

Cela ne fonctionne pas bien. Qu’à cela ne tienne, on développe le système et, à la rentrée 2018, 26 lycées supplémentaires sont passés au numérique en Lorraine.

On pourrait déjà se poser la question de savoir si nos enfants ne passent pas déjà bien assez de temps devant les écrans de la sorte. Est-il vraiment nécessaire que l’école les engage à y passer encore plus de temps ? Ne vaudrait-il pas mieux varier un peu les supports d’apprentissage au lieu de faire du tout numérique ? À la longue, notre encéphale s’endort et devient passif devant un écran, il a besoin d’avoir des stimuli plus variés.

La région Grand Est a proposé trois formules aux lycéens pour s’équiper : soit une tablette de base payée entièrement par la région Grand Est, soit une tablette plus perfectionnée, avec un reste à payer par les parents, soit un ordinateur portable avec une somme plus importante à charge pour la famille. Voilà un bon moyen de créer de la ségrégation sociale par les revenus familiaux. On pourra montrer du doigt les élèves pauvres.

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Croyez-vous que le matériel soit arrivé à la rentrée ? Eh bien non ! La plupart des élèves ont été équipés au cours de la deuxième quinzaine d’octobre. Et cela a été une sacrée usine à gaz de distribuer tablettes et ordinateurs. Il faut plaindre les chefs de gare – enfin, dans la novlangue de la DANE, les « référents GAR ». Le GAR est le « gestionnaire d’accès aux ressources » (il est sous-entendu qu’il s’agit des ressources numériques pour l’enseignement). En résumé, le « référent GAR » est la malheureuse personne qui doit gérer tout ce merdier : la distribution des équipements aux élèves par les professeurs principaux, puis la distribution des licences des manuels numériques et le mode d’emploi de leur téléchargement.

Le plus souvent, ce sont les documentalistes qui ont hérité de cette corvée. Car, bien entendu, avec tout ce qui ne fonctionne pas, les doléances sont nombreuses et il vaut mieux avoir le sens de l’humour pour être chef de GAR. Tous les professeurs n’accédaient même pas aux manuels numériques avant les vacances de la Toussaint. Et les lycées 4.0 n’ont pas toutes les licences nécessaires pour tous leurs élèves. Or la rentrée est passée depuis plus de deux mois et, comme il faut bien travailler, les photocopieuses tournent toujours autant.

Les élèves devraient bientôt pouvoir télécharger leurs manuels numériques. Il leur est conseillé de le faire chez eux car les connexions Internet des lycées sont souvent capricieuses et d’un débit assez bas, l’opération peut s’avérer très longue.

Il faut espérer qu’au fil du temps les connexions fonctionneront mieux dans les lycées 4.0 et aussi que l’administration laissera un peu les enseignants libres de leurs choix pédagogiques s’ils sont réfractaires au tout numérique.

In Furore

Article paru dans RésisteR ! #58, le 17 novembre 2018