Le journaliste : Nous voici dans l’antre de la contestation sociale nancéienne, lieu de savoir occupé depuis 1 mois : la faculté des lettres ! Je suis actuellement avec Deborah.
Bonjour Deborah !
Deborah : ‘jour’.
Le J : Alors Deborah, vous et vos amis avez décidé de rebaptiser cette faculté « Université populaire du Sapin », pourquoi avoir choisi cet arbre ?
Deb’ : C’est pas nous qui l’avons choisi mais bien lui qui nous a offert son hospitalité.
Le J : Je vois… Vous êtes étudiante en philosophie je suppose ?
Deb’ : La philosophie c’est étymologiquement « l’amour de la sagesse » et, pour nous étudiant·e·s de l’Univ’ Pop’ du Sapin, la sagesse est dans le respect du peuple et de la nature dont il fait partie.
Le J : Donc vous êtes bien en philosophie ?!
Deb’ : Ici tout·e·s les étudiant·e·s sont en philosophie, de la même manière qu’iels sont toutes et tous en Histoire, en travaux pratiques, en sociologie ou autre. Vos catégories appartiennent à l’université de Lorraine. Ici c’est après.
Le J : Je vois… Mais revenons à cet intérêt pour la nature, vous êtes, j’imagine, de sensibilité écologiste ?
Deb’ : L’écologie permet à l’urbain de se rappeler qu’il a oublié une partie de son monde, ici on n’est pas écologistes, on se concentre sur ce que notre société a oublié : le vivant. Pour vous, la faculté est un ensemble froid de bâtiment que des sociétés privées entretiennent et des bureaucrates administrent… nous voyons l’université comme un arbre vivant.
Le J : Ah oui ok, vous vous définissez comme des feuilles qui bruissent dans la poésie ou quelque chose du genre ?
Deb’ : Non. Nous sommes des épines qui se nourrissent de la sève du partage. Qu’il fasse chaud ou qu’il gèle nous restons côte à côte, coûte que coûte, entre les racines des luttes et le ciel de la métamorphose. Nous sommes dressé·e·s de telle manière que nous piquons ce qui nous
assaillent en tâchant de ne pas blesser celleux qui nous entourent. Nous ne sommes pas qu’un sapin, nous sommes vivant·e·s.
Le J : Vous insinuez par-là que les autres sont morts ?
Deb’ : S’ils ne le sont pas ils font très bien semblant. Les absents, les mutzenhardt et autres cravateux sont à la culture ce que le mur de béton est à l’université : un matériau friable.
Le J : Vous opposez toujours les membres de l’Université Populaire du Sapin aux autres, vous semblez bien fermés pour un végétal si je puis me permettre.
Deb’ : Au contraire ! Nous sommes ouvert·e·s à tous les vents, nous puisons notre vie dans des sols que vous ne soupçonnez pas… Mais il en va de la survie du sapin que d’être indomptable. Regardez le saule pleureur du campus, sa résignation a poussé l’administration à le couper l’an dernier !
Le J : Vous faîtes bien de me parler d’autres espèces car j’ai pris en photo votre sapin et mon « appli de reconnaissance des arbres » me dit que c’est un cèdre, pour des étudiant·e·s vous ne semblez pas bien avoir étudié votre symbole !
Deb’ : C’est ici que l’adjectif populaire donne du sens à l’université. Le peuple de la faculté a pour coutume ancestrale d’appeler cet arbre sapin et c’est par respect pour cette tradition que nous n’avons pas souhaité calquer notre imaginaire sur un mode scientifique rationaliste qui broie les idéaux sous prétexte de classifier. Ranger chaque être vivant dans une case n’est pas qu’un délire botaniste, c’est le reflet d’une pensée systématique qui entend tout dominer par le contrôle des mots et des définitions.
Le J : Oui mais il faut bien des définitions communes pour s’entendre, c’est un principe de base de tout enseignement à l’université, non ?
Deb’ : L’unité sert à imposer une vision du vrai. En voulant me faire dire que cet arbre est un cèdre et non un sapin vous ne faîtes pas que rappeler une pseudo neutralité de point de vue, vous m’imposez un ordre du monde dans lequel les scientifiques classent et les journalistes apprennent par cœur les définitions. Nous avons besoin de faire nos propres définitions car vous n’êtes pas plus journaliste que cet arbre est un cèdre. Vous êtes le reflet d’une pensée qui a besoin de ranger les étudiant·e·s dans des filières et les arbres dans des tableaux Excel.
Le J : C’est bien beau la théorie mais dans la pratique j’ai un diplôme de journaliste et les universitaires structurent vos cours, vos examens, votre réussite !
Deb’ : Premièrement votre diplôme a été imprimé sur du papier issu d’un arbre qui n’avait probablement pas envie de finir comme ça. Deuxièmement vous ne pensez la réussite qu’en terme institutionnel, pour nous, la réussite est d’avoir su créer un mouvement où les gens n’auraient jamais pu se rencontrer s’ils étaient restés dans votre immobilisme.
Le J : Vous parlez de mon immobilisme mais au moins il permet à plein de gens de se structurer dans leur vies, qu’est-ce que vous proposez vous à l’université populaire du sapin qui mourra une fois les étudiants en vacances ?
Deb’ : Nous proposons l’inconnu.
Le J : C’est bien ce que je pensais, rien de très solide…
Deb’ : Au Contraire, l’inconnu est insalissable, toujours en devenir, c’est la plus sûre des aventures. L’idée du sapin a des siècles alors que l’architecture de la fac n’est que la résultante d’un vulgaire besoin d’offre et de demande. Nous défendons une université sans examens, sans autre devoir que celui d’être chaque jour un peu plus près de la sève que la veille. Vous avez raison de dire que les vacances ralentissent nos activités mais le sapin sème et le sapin s’aime. Il va endurer l’hiver de l’été pour qu’au printemps de la rentrée les étudiant·e·s ne voient plus qu’un sapin à contourner au milieu de leur cours, certain.es d’entre eux verront un arbre qui n’était pas là auparavant.
Le J : Vous me pardonnerez ce calembour mais tout de même votre projet sent un peu le sapin au regard de la détermination du président, de vos locaux murés et des interventions policières !
Deb’ : L’idiot voit les plaques de fer sur les locaux syndicaux mais le sage voit s’y refléter un arbre qui pousse. Vous avez parfaitement raison Monsieur, ça sent le sapin ! Tout est question de point de vue.
Note de la rédaction : L’ensemble de la rédaction souhaite avertir lea lecteurice que Jean-Michel Bourgeois a quitté son poste après être retourné à son bureau pour retranscrire ce reportage. Les témoins disent qu’il aurait regardé son diplôme de l’Institut de Journalisme pendant 4h avant de s’en servir pour y inscrire au verso : « il faut que ça pète… ».
Sa famille est toujours à sa recherche.
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