Des évaluations nationales dès les premières semaines de CP
Le 17 mai, le ministère de l’Éducation nationale a présenté un nouveau dispositif d’évaluation pour les classes de CP et CE1. Ce projet sera finalisé au mois d’août, il est donc dans sa phase de mise au point. Dans les grandes lignes, une évaluation sera réalisée fin septembre ou début octobre pour les CP et CE1, les enseignant(e)s seront chargé(e)s de transmettre les résultats sur un portail dédié. L’interprétation des résultats sera faite au niveau académique et national, par un logiciel. La collecte de ces éléments sera consignée dans ONDE (Outil Numérique pour la Direction d’École), outil qui centralise les données personnelles des élèves.
Le but annoncé de cette évaluation est de faciliter les apprentissages des élèves, donner des repères aux enseignant(e)s pour aider les élèves à progresser, ajuster les plans nationaux et académiques de formation des enseignant(e)s dévolus dorénavant à la langue française et aux mathématiques uniquement, et proposer des ressources pertinentes.
Jusqu’aujourd’hui, la relation parent d’élève/enseignant(e) permettait de situer le travail de son enfants, ses progrès ou ses carences. Les professeur(e)s des écoles informaient les parents, au gré des évaluations faites en classe, évaluations qui étaient en majeure partie construites par eux-mêmes et présentées aux élèves quand ces derniers étaient prêts.
Les enseignant(e)s et leurs organisations syndicales s’inquiètent légitimement de la qualité d’une telle évaluation, et de leur posture et rôle en tant qu’enseignant(e)s. L’ajustement de l’enseignement, les propositions de ressources pertinentes faisaient partie de la relation interne à l’enseignement. Les suppressions de postes pénalisent le travail de terrain, les rencontres. Penser qu’un logiciel centralisé palliera l’absence humaine est un doux rêve, dangereux quand même.
Un projet discret, pour ne pas dire secret
Les parents d’élèves n’ont pas eu la moindre communication de ce projet. Après le retentissant fiasco de Parcoursup, qui laisse sur le carreau des milliers de lycéen(ne)s, est-il urgent de mettre sur pied d’autres outils numériques dédiés aux 6 ou 8 ans ? Quel algorithme mystérieux sera mis en place pour profiler nos enfants ? Mystère et boule de gomme.
Dés le plus jeune âge, les élèves vont être porteurs de données, qui seront la conséquence d’interprétations codifiées et centralisées. Cela constituera le socle, la base, d’un dossier scolaire, qui suivra et conditionnera le cursus de chaque enfant, l’aiguillant ainsi vers la vie active. Quelle place prendront les critères sociaux ? L’adresse, le quartier où l’on vit ? La situation des parents ? L’origine ?
Jusqu’aujourd’hui, les enseignant(e)s ont toujours eu à cœur d’accueillir les enfants de l’immigration quelle que soit leur situation administrative, c’est bien par la volonté de ces professionnel(le)s que l’École intègre des enfants aux parcours multiples.
Il va être difficile de nous faire croire que la bande à Macron veuille « faciliter les apprentissages des élèves, donner des repères aux enseignant(e)s pour aider les élèves à progresser... » lorsqu’il s’agira d’enfants sans papiers ou d’enfants du voyage. Que décidera le logiciel dédié pour celles et ceux dont la vie est un chaos ?
Parcoursup ferme et bloque la porte des universités aux publics socialement défavorisés. Il fallait un logiciel à l’autre bout de la chaîne, qui propulse les jeunes vers les entonnoirs « professionnels », dans les formations adaptées aux vœux du MEDEF. Très tôt, le social risque de déterminer le parcours.
Livret scolaire ou fichier ?
Un livret scolaire unique numérique (LSUN) est constitué, dès le CP, et ce jusqu’à la troisième. Au lycée, c’est le livret scolaire du lycée (LSL). Selon la FCPE 75, ce livret est constitué de données très sensibles. Toutes les étapes de la scolarité sont parties intégrantes du système ONDE, outil de gestion des données de l’ensemble des élèves d’un établissement. On retrouve ainsi, entre LSUN et ONDE, les éléments suivants :
- le niveau de maîtrise du socle commun,
- les bulletins périodiques des élèves pour chacune des classes,
- les bilans de fin de cycles,
- les attestations obtenues (sécurité routière, savoir-nager, formation aux premiers secours…),
- des éléments relatifs à la vie scolaire (absences, retards, comportement),
- des éléments de suivi des élèves en difficulté ou à besoins particuliers : le Programme personnalisé de réussite scolaire (PPRE) pour les difficultés scolaires ponctuelles, le recours au Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficultés (RASED), les Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), les Unités d’inclusion scolaire (ULIS), le Projet personnalisé de scolarisation (PPS), le Projet d’accompagnement personnalisé (PAP) coordonné par le médecin scolaire, le Projet d’accueil individualisé (PAI).
Vous avez dit confidentiel ?
À terme, le dossier scolaire sera complètement dématérialisé, il ne voyagera plus dans le cartable de l’enfant, à la place les parents recevront un identifiant. Le ministère assure que l’accès à ce dossier ne sera consultable que 8 à 10 mois après la fin des études. Que devient-il après ?
La DEPP, Direction de l’Évaluation, des Prospectives et des Performances, qui est en fait le service statistique du ministère de l’Éducation, garantit l’anonymat du dossier scolaire. Un numéro est connecté au nom de l’élève, qui est le seul élément visible lorsque les données circulent. La DEPP assure avoir l’expérience de ce type d’anonymisation et en garantit la fiabilité. On est prié d’y croire.
C’est un secret de polichinelle, les données personnelles une fois dématérialisées sont techniquement transférables, quelle que soit la déclaration d’intention des concepteurs. Les compétences de nos enfants, leurs comportements, leurs lieux de naissance, leurs parcours sociaux sont des données qui intéressent les assureurs, les écoles privées et autres camelots.
Le ministère de l’Éducation nationale constitue une banque de données centralisée et transférable. Ces données sont collectées sur la vie privée d’une population en devenir.
Petite nuance ! Le livret scolaire n’est plus une pièce à disposition de la famille, c’est la propriété de l’État. Du CP à Parcoursup, vous êtes informé de ce que peut faire votre enfant. Ce qu’il veut, ce que vous voulez pour lui, n’entre plus en ligne de compte. Évaluations, affectations seront décidées par un logiciel.
Un casier scolaire
Le CNRBE, Collectif National de Résistance à Base Élèves (nouvellement ONDE), alerte sur les utilisations possibles du LSUN, ce véritable fichier attaché à la personne :
« Couplé aux bases élèves du 1er et du 2d degré, le LSUN constituera un puissant outil de contrôle social. Les données enregistrées dans les fichiers scolaires sont en effet accessibles sur simple demande aux maires, à la police et à la justice sous couvert du « secret professionnel partagé » (...), aux préfets (...) et potentiellement à toutes les administrations par interconnexion de fichiers. »
Vous et vos enfants pensez n’avoir rien à vous reprocher ?
C’est aussi ce que croyait Arnaud, lycéen en terminale S, arrivé seul du Rwanda à 14 ans. Alors qu’il suivait une scolarité sans histoire et que sa famille d’accueil s’apprêtait à l’adopter, ce mineur isolé s’est vu refuser en mai dernier, à sa majorité, un titre de séjour, et a reçu à la place une obligation de quitter le territoire, en raison d’une simple « absence de motivation » notée quelques mois plus tôt au bas de son bulletin scolaire (prouvant, selon la préfecture, qu’il n’était pas motivé pour s’intégrer en France) ! On se souviendra également qu’il avait fallu en 2009 une intervention de la HALDE à Paris, pour corriger une différence de traitement entre enfants scolarisés dans le secteur public et le secteur privé via Affelnet post 3ème…
Refuser ce flicage et remettre de l’Humain dans l’enseignement
Livret ouvrier, livret des gens du voyages, carte de circulationS, statut d’indigène ou de colon, refus du droit de vote des femmes, couvre-feu pour les indigènes d’Afrique du nord, refus de l’autonomie financière des femmes (jusqu’en 1963), notion de chef de famille, fichier STIC (système de traitement des infractions constatées)... L’État a toujours su exacerber les différences, pour empêcher l’unité. Fabriquer administrativement des gens différents dans leurs droits, étouffer leurs aspirations, classer tout un chacun(e) dans une méritocratie fabriquée de toutes pièces.
Ce projet imminent ne suscite pas d’opposition de masse, et pour cause, trop peu d’informations circulent à ce sujet. Le ministre Blanquer communique sur le retour de la dictée, sur le fait qu’un bon plombier gagne mieux qu’un prof de philo, qu’il faut recentrer sur lire-écrire-compter, rien n’est dit sur la constitution d’un fichier monstrueux, véritable outil de police sociale.
Si aucun débat, aucune initiative ne sont de mise à la rentrée, la notion d’École publique pour le bien-être de toutes et tous va nous échapper... L’École est un levier d’émancipation. On doit pouvoir étudier la philosophie, les langues, les maths parce que l’envie nous pousse. Nous devons refuser qu’un logiciel limite les ambitions, les rêves des générations à venir. Ce sinistre projet ne peut être le problème des seul(e)s enseignant(e)s, les parents d’élèves doivent signifier leur opposition au flicage de leurs enfants, et intervenir auprès et avec les personnels de l’Éducation nationale.
L’Éducation nationale, à tous niveaux, souffre de manque de moyens, de classes surchargées, d’un manque de personnel criant. Au lieu de pontifier sur la dictée, et sous-traiter la pénurie à des logiciels, il faut remettre de l’Humain dans l’enseignement. Hugo disait déjà en 1840 : « Les maîtres d’école sont des jardiniers en intelligences humaines. »
Michel ANCE
Parent d’élève
http://piquetdegreve.blogspot.com/
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