Lettre ouverte à la Présidente de l’Université de Lorraine

Nancy (54) |

Le Mouvement Étudiant Lorrain pour la Palestine (MELP) a sollicité la Présidente par deux fois afin que l’Université de Lorraine (UL) sorte du silence. C’est parce que nous sommes conscient·es de la responsabilité de nos institutions, que nous estimons qu’il est de notre devoir d’agir par tous les moyens à notre portée en vue que cesse le génocide en cours et la dépossession des Palestiniens et des Palestiniennes de leur terre.

Nous avons interpellé la Présidence de l’Université de Lorraine pour qu’à aucun niveau elle ne collabore avec des universités ou des entreprises, israéliennes ou internationales qui participent de près ou de loin au régime d’oppression colonial israélien. Nous voulons également qu’un plan d’actions soit mis en place afin notamment d’accueillir des chercheur·es et étudiant·es palestinien·nes, et que l’Université de Lorraine participe à la reconstruction des universités palestiniennes.

Une délégation a été reçue par la présidente le 13 mai 2024, date à laquelle nos revendications lui ont été présentées. Nos principales revendications ont été refusées. En réponse, le MELP a rédigé un contre-argumentaire. Lors du Sénat académique du 24 mai 2024, après une déclaration liminaire lue par ESPOIR et portant des revendications similaires aux nôtres, nos élues étudiantes ont transmis notre réponse sous la forme d’une lettre ouverte à la présidente. Depuis, nous attendons toujours une réponse de sa part. Nous attendons du Conseil d’Administration du mardi 4 juin qu’une motion à la hauteur de nos attentes soit présentée.

Les massacres commis par l’armée israélienne à Gaza et en particulier à Rafah cette semaine ne cessent de s’intensifier alors même que grandit une indignation internationale ; ils exigent de sortir du silence.

Lettre en réponse à Madame la Présidente de l’Université de Lorraine :

À travers le monde, les universités sortent du silence et jouent leur rôle pour mettre fin à cette guerre. En Norvège, en Irlande, en Italie et dans tant d’autres pays, les universités prennent de plus en plus position pour isoler le monde universitaire israélien et l’empêcher de participer au massacre en cours en Palestine. La conférence des recteurs d’université en Espagne s’est engagée à suspendre ses accords de coopération avec les universités et centres de recherche israéliens qui n’ont pas exprimé un engagement ferme à la paix et au respect du droit international humanitaire. Leur engagement ne sort pas de nulle part mais est imposé par la situation actuelle en Palestine.

La destruction du système scolaire et universitaire palestinien est une tragédie pour tous les Palestinien·nes ; leur droit à l’éducation et leur futur sont confisqués. L’anéantissement par l’armée israélienne de toutes les universités palestiniennes tend à faire disparaître du patrimoine mondial et académique la culture et le savoir palestinien [1] ; il s’agit de l’une des manifestations du génocide en cours.

Les universités israéliennes sont indispensables au régime d’oppression coloniale et d’apartheid. Elles sont complices de graves violations des droits de l’Homme, notamment en développant des armes, des doctrines militaires et des justifications juridiques pour le ciblage massif et aveugle des Palestinien·nes. C’est par exemple au sein de l’université de Tel Aviv que la doctrine Dahiya a été élaborée. Cette doctrine d’une réponse disproportionnée visant les infrastructures civiles est appliquée dans l’attaque de la bande de Gaza ; les universités palestiniennes en font directement les frais. L’existence même de deux universités israéliennes – les Universités Hébraïque et Ariel – s’inscrit en violation du droit international, étant construites sur des terres colonisées, tel que le reconnaît l’ONU. L’institut de technologie Technion a développé quant à lui, en collaboration avec l’armée israélienne, des bulldozers télécommandés servant à la destruction des maisons dans la bande de Gaza. Le droit international considère ces exactions comme une punition collective. Ces violations des droits fondamentaux se déploient au sein même des universités israéliennes : l’ONG Human Rights Watch a documenté les discriminations institutionnalisées contre les Palestinien·nes dans les universités israéliennes ainsi que la ségrégation présente dans le système scolaire. De plus, toute critique par des universitaires israéliens de la politique israélienne dans ses dimensions coloniale ou génocidaire sont réduites au silence par la censure des présidents d’universités israélien·nes, poussant des chercheurs [2] à s’exiler pour jouir de leur liberté académique. Comble du grotesque, ces mêmes universités accusent les mouvements étudiants aux États-Unis et à Paris d’antisémitisme [3], sans écouter les appels à la paix et au respect du droit international que ces mouvements portent.

Cette liste n’est pas exhaustive [4], mais illustre comment les universités israéliennes portent atteinte aux droits de l’Homme et affichent leur soutien à la politique et à l’idéologie du gouvernement israélien, qui mène le massacre en cours dans la bande de Gaza.

À la lumière de l’Histoire, chaque être humain reconnaît le génocide comme un crime contre l’humanité qu’il a le devoir moral de prévenir et de combattre à son échelle. L’ONU liste cinq actes qui, même pris individuellement, définissent un génocide. L’invasion par Israël de la bande de Gaza remplit trois de ces cinq actes et doit donc être qualifiée de génocide. Il est nécessaire que toutes les institutions à travers le monde prennent des actions immédiates pour l’arrêter.

Le mouvement BDS insiste sur le boycott des universités israéliennes comme moyen de sanction efficace pour lutter contre le système d’oppression colonial. Toutefois, la présidente de l’Université de Lorraine, Hélène Boulanger, a exprimé son opposition au boycott, soutenant qu’il porte atteinte aux libertés académiques. Mais de quelle liberté académique parle-t-on ? S’agit-il d’une liberté totale, libre de tout code éthique ? Une liberté académique qui se fait au détriment du peuple palestinien, de son système éducatif et de sa culture ? Toute liberté a ses limites et doit être exercée dans le respect des droits humains et dans un cadre éthique.

En tant qu’étudiantes, étudiants et personnels de l’Université de Lorraine, nous avons conscience de la gravité de la situation en Palestine et voyons l’urgence d’agir pour protéger ce qui n’a pas été détruit. Nous demandons à la Présidence de sortir de son silence et de prendre des actions concrètes, conformément à son engagement pour la défense et la promotion des libertés académiques dans le monde.

Nous demandons à L’Université de Lorraine de :

1) S’engager à réaffirmer son attachement au respect des droits de l’Homme et du droit international dans la mise en œuvre de partenariats avec des institutions de recherche internationales.
1 bis) La participation des universités israéliennes dans le génocide en cours nécessite une prise de position claire de la Présidence, qui rejette toute possibilité de partenariat avec des institutions de recherche israéliennes tant qu’elles n’appellent pas à la paix et ne respectent pas les droits humains et internationaux.

2) S’engager à suivre les directives du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) afin de limiter ses collaborations avec toutes les entreprises françaises et internationales qui participent, directement ou indirectement, à la colonisation, à l’apartheid ou au nettoyage ethnique des Palestinien·nes, que ces entreprises soient des fournisseurs ou des partenaires académiques.

3) Pousser le Collège de France à mettre en place, dans le cadre du programme PAUSE, un fonds d’urgence Solidarité Palestine.

4) S’engager à développer des partenariats avec les universités palestiniennes, à l’instar du Plan d’action destiné à l’Ukraine et mentionné dans l’Engagement solidaire de l’Université de Lorraine pour la défense et la promotion des libertés académiques dans le monde du 26 septembre 2023. Dans cette même perspective de soutenir le monde universitaire palestinien, nous attendons qu’elle mette en place des bourses pour les étudiant·es et personnels palestiniens.

5) S’engager à respecter la liberté d’expression et d’organisation des étudiant·es, ainsi que les libertés académiques, les franchises universitaires, l’indépendance des enseignants-chercheurs, des enseignant·es et des chercheurs comme garantit par le Code de l’Éducation.
Par là, elle doit condamner l’intervention illégale des forces de l’ordre sur ses campus et établissements.

Nous saluons l’engagement de la présidente à ne pas entraver l’organisation de moments culturels visant à mettre en lumière la cause et la culture palestiniennes au moment où l’existence de celle-ci est plus que jamais menacée. Nous saluons aussi son combat contre toute forme de discrimination, notamment l’antisémitisme et l’islamophobie, et le fait d’éviter l’instrumentalisation de l’antisémitisme comme outil de disqualification.

Mouvement Étudiant Lorrain pour la Palestine.

Lettre ouverte – Version PDF

Notes

[1Destruction de plus de 3 000 artéfacts du musée archéologie de l’université Al-Israa et des dizaines de milliers de livres archivés dans les bibliothèques universitaires.

[2L’historien israélien Ilan Pappé s’est exilé au Royaume-Uni depuis 2007 après avoir subi des pressions de la part de son université.

[3Voir la déclaration collective des présidents d’universités israéliennes du 26 avril 2024.

[4Le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanction liste l’ensemble des exactions des universités israéliennes.