Lettre au Réseau Mutu à propos de ReinfoCovid et des anti-masque, initialement publiée sur IAATA.
Bonjour à toutes et tous,
Ces derniers jours un article intitulé « Au procès des complotistes, nous ne soutiendrons pas les procureurs » a été publié en Une de plusieurs sites du réseau Mutu [1]. Nous apprécions et soutenons le réseau Mutu depuis des années, notamment pour sa capacité à demeurer ouvert à différentes tendances du monde militant et des mouvements révolutionnaires. Mais la publication de ce texte nous semble particulièrement problématique et nous aimerions vous en expliquer les raisons.
Ce texte, par ailleurs écrit avec style, nous semble adopter une rhétorique trompeuse. Rhétorique qui se met en place dès les premières lignes. Ainsi l’auteur écrit :
« Pourquoi tant d’anarchistes et militants rechignent-ils à rejoindre les manifestations et luttes anti-masques, anti-confinement, anti-vaccins, anti-5G ? Parce qu’elles sont taxées de complotistes, et qu’ils ne voudraient pour rien au monde être affiliés à cette tendance, frayer avec ceux que l’on marque de ce nom. Nous n’y voyons, pour notre part, qu’une stratégie classique de division des opposants par les pouvoirs en place. »
L’auteur part d’un postulat : si les anarchistes et les militants ne rejoignent pas les anti-masques (et autres) c’est parce qu’ils ont peur d’être taxés de complotistes. Toutes les autres raisons possibles de ne pas les rejoindre (leur argumentation ou leurs alliances politiques par exemple) sont évacuées. Par la suite ce postulat ne sera jamais discuté.
Ensuite il avance que cette dénomination de « complotiste » est une opération du pouvoir pour nous diviser. Ce que tout le texte va ensuite s’attacher à démontrer. Laissant entendre qu’en toute bonne logique que si la stigmatisation de « complotisme » est effectivement une opération du pouvoir alors plus rien ne nous empêcherait de rejoindre les rangs des anti-masques. Seulement non, cela n’a rien de logique.
Pourquoi faudrait-il s’allier aux anti-masque ? L’auteur ne l’explique jamais vraiment.
Alors disons-le tout de suite : nous souscrivons presque entièrement à l’analyse du « complotisme » qui est proposée. Oui les gouvernants se servent de la dénomination infamante de « complotisme » pour étouffer tout mouvement de contestation. Oui les puissants ont toujours comploté. Oui nous ferions bien de comploter beaucoup plus du côté révolutionnaire. Oui les médias sont à la solde des puissances d’argent. Et oui, on comprend que des gens adoptent des théorie farfelues dans la confusion ambiante. Et oui on peut en effet questionner notre incapacité manifeste à construire des analyses solides de la situation qui nous donneraient des prises, et à les diffuser au-delà des milieux militants. Donc oui, le battage médiatico-gouvernemental autour du « complotisme » c’est de l’enfumage. Par contre nous pensons qu’il manque cruellement une analyse sur la manière dont l’extrême-droite instrumentalise la confusion et les « théorie farfelues ».
Du coup, le « complotisme » étant du vent, on rejoint les anti-masques ? Non, toujours pas.
Toujours pas, parce que pour nous comme pour beaucoup de militants le refus de se joindre aux anti-masque n’est pas lié à une hypothétique peur de se voir traiter de « complotiste », ça nous ferait une belle jambe, mais parce que d’une part leur discours nous est politiquement ennemi et d’autre part leurs alliances sont nauséabondes.
Un discours libéral empreint de darwinisme social :
- La minimisation constante de l’épidémie au prétexte que cela ne toucherait « que les vieux et les personnes fragiles ». Quel est le problème avec les personnes de plus de 60 ans, les diabétiques, les personnes immunodéprimés ou les personnes obèses pour ne citer qu’elles ? En quoi sont-elles des quantités négligeables ?
- Plus généralement la minimisation de l’épidémie nous semble être un point que le mouvement anti-masque partage de façon constante avec le gouvernement, lui qui a décidé de privilégier l’économie à la vie des gens et qui nous contraint de vivre avec une marée haute de contaminations et de morts, laissant le virus circuler et donc muter tranquillement. De plus la minimisation de l’épidémie, si ce n’est sa négation, nous empêche de penser sérieusement des outils de prévention et de santé communautaire pour protéger les personnes fragiles.
- Nous partageons avec Cerveaux Non Disponible le désarroi face à la focalisation sur la question du port du masque. Cela serait risible si ce n’était pas si grave quand par ailleurs s’empilent les avancées sécuritaires autrement inquiétantes. Si le port du masque n’a pratiquement aucune utilité en extérieur, c’est par contre une méthode simple pour freiner la circulation du virus en intérieur. Exiger des masques gratuits serait une revendication sociale sensée, revendication qui a très tôt été portée par les Brigades de Solidarité Populaires alors que le gouvernement prétendait à l’inutilité du masque pour cacher la pénurie.
- Si la gestion sécuritaire de la pandémie nous semble catastrophique, l’exaltation de la « liberté » contre la « dictature sanitaire » des mouvements anti-masque nous semble relever d’un individualisme des plus libéraux. La structuration sociale de l’épidémie, le fait qu’elle touche en très grande majorité les populations pauvres pendant que les riches se font des restos clandestins, voilà qui est complètement absent du discours des anti-masques, qui évoquent à peine la destruction concertée de l’hôpital public.
Pour toutes ces raison le discours des anti-masques nous semble faire le lit de positions ultralibérales et validistes tout en éclipsant les dominations systémiques que l’épidémie exacerbe, ce qui explique leur grand succès auprès des groupes politiques et des médias d’extrême-droite comme Sud Radio ou FranceSoir.
Ensuite, dans presque tous les endroits (Dijon, Quimper, Le Mans, Narbonne, Nimes...) où des rassemblements anti-masque ont eu lieu, ceux-ci ont été impulsés par des membres du collectif ReinfoCovid. Si bien qu’il est presque impossible en France aujourd’hui de dissocier le mouvement anti-masque de ReinfoCovid et de son porte-parole Louis Fouché. Quel est ce collectif ? Qui le compose ?
- Le collectif ReinfoCovid a été créé en octobre 2020 essentiellement par des médecins, des naturopathes, des coachs en bien-être et des politiques qui soutenaient qu’il n’y aurait pas de 2eme vague, et qui défendaient la liberté de prescrire de l’hydroxychloroquine, ainsi que la figure du professeur Raoult. Pour rappel ce dernier, que ReinfoCovid présente comme un rebelle, est un notable marseillais, éminent représentant de Big Pharma qui a obtenu l’un des plus importants financements jamais perçus pour un établissement de santé (72,3 millions) grâce à son réseau de relations au sein de la droite sarkozyste.
- Le collectif ReinfoCovid compte parmi ses membres des personnes qui se positionnent clairement à l’extrême-droite, comme sa porte-parole Alexandra Henrion-Caude (militante de la Manif pour Tous) et plusieurs contributeurs réguliers du site trumpiste FranceSoir.
- Son porte-parole Louis Fouché, véritable marathonien de youtube, s’il prétend parler à tout le monde a surtout pour habitude de répondre à des invitations de médias ou de personnalités d’extrême-droite : CNews, Sud Radio, FranceSoir, Radio Courtoisie, François Asselineau, Salim Laibi.
- Alors que Hold-Up avait déjà été analysé sous toutes les coutures, que la participation de plusieurs membres de la mouvance Q-Anon à ce film avait été relevée, et que son adhésion de fond au discours de ce mouvement fasciste pro-trump avait été établie, Louis Fouché a participé (avec d’autres membres de ReinfoCovid) aux bonus d’une nouvelle version du fim, en janvier 2021. Déjà au moment de sa sortie en novembre il déclarait : « la seule contribution de Hold Up pour moi est d’appeler au courage, à l’héroïsme, à la Résistance »
- Le 29 avril 2021 Louis fouché prend la parole à Nîmes lors d’un rassemblement anti-masque comptant plusieurs centaines de personnes. Au milieu de son discours au style évangélique bien particulier qui distingue ceux qui sont éveillés de ceux qui ne le sont pas, il lance un clin d’oeil appuyé à la tribune fasciste des généraux parue 8 jours avant dans Valeurs Actuelles et qui, au moment où il parle, fait le buzz médiatique : « On peut jouer à plein de jeux différents. Je vous invite à ouvrir plein de possibles dans les jeux. Le jeu de rejoindre les collectifs. Le jeu de rassembler les collectifs. Le jeu de les aider à reprendre le pouvoir. Le jeu de changer de système monétaire et de créer des monnaies locales. Le jeu de vous remettre en amitié avec les policiers et policières municipaux, les CRS. Et il y en a plein là, peut-être même parmi nous. Je vous l’ai déjà dit mais dans le collectif il y a des généraux, des amiraux. Il y a des gens qui sont dans l’armée. »
Il finira son intervention en demandant au public d’ovationner la police.
Donc non, ce n’est pas parce que nous aurions peur d’être traité de « complotistes » que nous ne rejoignons pas les anti-masque mais parce que nous nous opposons à leurs discours et au champ politique dans lequel ils s’inscrivent. Pas besoin de les assimiler à des « complotistes adeptes de la lune creuse » pour s’opposer à eux. Leurs discours et leurs alliances les situent clairement du coté des ultralibéraux réactionnaires qui défilent à SudRadio et à FranceSoir.
S’il est évident qu’un grand nombre des personnes qui se joignent aux manifestations anti-masque le font par ras-le-bol de l’absurdité criminelle de la politique gouvernementale, ils n’en défendent pas moins sur le fond une approche individualiste et inégalitaire très proche de celle du gouvernement.
Il y a un grand chantier à ouvrir d’analyses et de réflexions. Nous devons, nous militant·es anarchistes, communistes, autonomes, nous mettre au travail sur ces questions. L’absence de ce travail laisse la possibilité au discours réactionnaires de progresser parmi nous sous couvert d’appel à la « liberté ». Et cela d’autant plus que le discours des anti-masques, loin d’être seulement stigmatisé par des manœuvres gouvernementales, est également grandement encouragé et relayé par toute une partie de la bourgeoisie qui enchaîne les coups de pression politiques et médiatiques pour nous amener vers toujours plus d’autoritarisme.
Nous pensons que c’est à cause de l’absence de cette élaboration et de discussions parmi nous que des camarades se mettent à défendre des figures clairement ennemies comme le climatonégationniste de droite Didier Raoult, et que des textes comme celui que nous critiquons ici peuvent être relayés sans aucun regard critique sur des médias issus des luttes émancipatrices.
En ces temps troublés prenons soin de nos luttes,
(Lettre initialement publiée sur IAATA.)
Compléments d'info à l'article