Le nom du non !



Soixante experts alsaco-champenois-lorrains, tirés au sort (!), ont planché pendant des heures et des jours en petit comité. De leurs historiques-touristiques-économiques réflexions, ils proposèrent à leurs quelque cinq millions de concitoyens trois noms de baptême à la nouvelle grande région : « Nouvelle Austrasie », « Acalie » et « Rhin-Champagne », éliminant puis rattrapant « Grand Est », excluant définitivement « Île d’Europe », « Marche de l’Est », « Estrie »

Soixante experts alsaco-champenois-lorrains, tirés au sort (!), ont planché pendant des heures et des jours en petit comité. De leurs historiques-touristiques-économiques réflexions, ils proposèrent à leurs quelque cinq millions de concitoyens trois noms de baptême à la nouvelle grande région : « Nouvelle Austrasie », « Acalie » et « Rhin-Champagne », éliminant puis rattrapant « Grand Est », excluant définitivement « Île d’Europe », « Marche de l’Est », « Estrie »…
Citoyennes, citoyens, à vous de choisir votre nom ! Pour les uns, Rhin-Champagne c’est d’un chic mondialement reconnu mais excluant les Lorrains. Pour les autres, l’Acalie c’est s’exposer à devenir « Tous des acaliens toutes des acaliennes font chanter, font danser… » ce qui donnerait une image de cigales canadiennes, économiquement et géographiquement insupportable. Quant à la Nouvelle Austrasie, certains, convaincus des faibles connaissances en géographie des Français au-delà de leur clocher, craignent une certaine confusion avec l’Australie. Face au risque de déplaire à nos voisins germains, le comité nous a épargné « Boches de l’Est », comme longtemps le territoire national nous a surnommés !
Avant de se réunir en conclave pour célébrer l’enfant né, les élus de la nouvelle région fixèrent avec humour au 1er avril la date limite d’une consultation populaire qu’ils appellent « démarche participative ». Chacune et chacun a bien compris que ces réformes d’organisation politique du territoire s’inscrivent dans le cadre de la construction de l’Europe, des États-Unis d’Europe, d’un formatage mondial orchestré par ces nouveaux monarques économiques qui rêvent de moins en moins d’État pour régner sur la Terre. Trop de communes par rapport aux autres pays ? On impose les communautés de communes ! Les départements n’existent pas dans les autres pays ? On les supprime progressivement, en leur retirant budgets et compétences ! Les régions françaises sont trop petites et trop nombreuses ? On les regroupe ! Loin des yeux, loin du cœur, plus on éloigne le citoyen du pouvoir politique, plus il s’en dessaisit !
Ces réformes successives se mettent en place dans la discrétion de cabinets feutrés par des gens instrumentalisés au service de celui qu’ils servent et vénèrent plus que tout : le pouvoir financier. À aucun moment, ces réformes fondamentales – comme la mise en place des communautés de communes, qui délestent une à une les prérogatives communales, la transformation des conseils généraux en guichets sociaux sans moyens ou la création de ces grandes régions – n’ont été soumises à la consultation du peuple. Seule la constitution de l’Europe a été proposée à un référendum… les citoyens n’ayant pas compris qu’il fallait répondre « OUI », leur « NON » majoritaire à une Europe libérale a été tout simplement ignoré ! Tous les observateurs et tous les sondages s’accordent à reconnaître qu’un référendum préliminaire à la mise en place de ces « grandes régions » aurait obtenu un « NON » écrasant !
Aujourd’hui, nos Pinocchios de l’intérêt général ferment nos commerces de proximité pour nous imposer une grande surface que nous ne voulions pas. Bons princes, nos nobliaux nous octroient le privilège de choisir le nom de l’enseigne. On pourrait penser à une sorte de rattrapage démocratique maladroit. Je pense qu’il s’agit d’un machiavélique calcul politicien. Ces sacristains du diable ne manqueraient pas de traduire une forte participation à la désignation du nom pour une légitimité de leur réforme de déni de démocratie.
Je ne sais pas vous, moi, je ne serai pas complice de leur esbroufe : je dis non au nom !
Léon de Ryel
[Paru dans RésisteR ! #41, mars 2016]