Peux-tu nous dire ce qu’il y avait d’écrit sur ta banderole et pourquoi tu l’as mise à ta fenêtre ?
Environ une semaine après le confinement, j’ai décidé de mettre une banderole « DU FRIC POUR LES SERVICES PUBLICS » à ma fenêtre pour plusieurs raisons.
La première, c’est que je ne voulais pas me satisfaire d’applaudissements le soir à 20h pour les soignants. Je sors de deux mois et demi de grève contre la réforme des retraites. J’ai manifesté aux côtés de soignants et d’autres secteurs d’activité qui dénoncent depuis des mois, voire des années, leurs conditions de travail. Ils se sont fait gazer, nasser, tabasser, alors qu’ils demandaient plus de moyens pour faire leur travail correctement. Donc pour moi, les soignants méritaient plus que cinq minutes d’applaudissements journaliers.
La deuxième raison, c’est que malgré le confinement, j’avais besoin d’utiliser ma liberté d’expression pour pallier l’interdiction de manifestation. C’était un geste symbolique pour continuer d’interpeller au moins les personnes de mon quartier et montrer que confinement physique ne veut pas dire confinement des revendications.
Tu l’as faite comment ? Ça t’a pris du temps ?
Quand je l’ai faite, à vrai dire, j’étais malade depuis une semaine. Je ne sais pas si c’était le covid, puisque je n’ai pas été testée, mais j’étais placée en isolement chez moi pour 15 jours juste avant le confinement pour tous. J’étais donc fiévreuse et HS, mais la perspective de faire cette banderole me donnait la force de me traîner. J’ai utilisé un drap que j’ai découpé, et une bombe de peinture qui me restait. Cela m’a pris une bonne heure pour la faire car je tenais difficilement debout avec la fièvre, et j’étais seule.
Tu habites dans une rue passante ?
Ma rue n’est pas très passante car à sens unique, mais il y a quand même de la vie dans le quartier et pas mal de voitures. D’ailleurs, d’autres banderoles ont poussé dans le quartier par la suite. Et elle est très visible puisque je suis en rez-de-jardin.
Comment s’est déroulée l’intervention des flics ? Que t’ont-ils dit ? Quel était le motif de leur venue ?
On a toqué à la fenêtre de la chambre ; j’étais dans le salon. J’ai cru que c’était un ou une amie qui passait par là et qui me faisait coucou. En arrivant dans la chambre, je vois une voiture de police sous la fenêtre et un policier qui me demande d’ouvrir. Plutôt poli, il me dit bonjour et me dit que je dois enlever ma banderole car il s’agit d’un affichage sauvage...
Voici ce que j’ai écrit sur mon profil Facebook cinq minutes après l’intervention de la police :
Quand tu entends toquer à ta fenêtre et que tu vois que c est la police 😮 :
Mme votre banderole est interdite c est de l affichage sauvage, il faut l enlever.
Moi- ha oui ?! Mais c est chez moi ici !
Police- ça reste de l affichage sauvage quand même. Vous n êtes pas propriétaire de l immeuble...
Moi- vous avez vu ce qui est écrit sur la banderole ? Du fric pour les services publics. Vous êtes un service public aussi non ?
Police- oui Mme mais on est obligés de vous demander de l enlever. En plus c est Pas une banderole c est un draps avec peinture.
Moi- OK vous savez quoi ?! faites votre boulot ! j enleverai pas ma banderole quoi qu il arrive 😠 ! Je suis confinée totale depuis 12j, malade, il me reste que ça pour M exprimer ! oui c est un drap j ai fait avec ce que j avais ! J enleverai pas ma banderole 😡😠 ! faites ce que vous voulez 😤 ! De toute façon on va faire en sorte que ce soit pareil dans toutes les rues de France ! vous allez faire quoi ?? Tous nous verbaliser ??
Police- non Mme on est obligé de vous le dire ( l air désolées elle et lui ) mais on vous forcera pas à l enlever on sait que c est pour une bonne cause. On est désolés Mais si on a un signalement de vos voisins on sera obligés de venir.
Moi- OK vous faites votre job ! je comprends. mais elle restera là 😤 !
Police-au revoir et bon courage. Soignez vous bien Mme.Personne ne me fera enlever cette pu****s banderole ! j ai les nerfs à bloc ! déjà que je suis enfermée depuis 12j toute seule si en plus on M empêche de M exprimer 😤😤😤
Au final, tu as retiré la banderole ?
Non, je ne l’ai pas retirée. Cela pourrait paraître démesuré, mais pour moi c’était important de pouvoir continuer de m’exprimer. J’étais confinée seule en appartement, malade, j’avais besoin que ma parole s’exprime quoi qu’il m’en coûte.
Quelles sont tes impressions suite à leur intervention ?
Tout de suite après, j’étais dans une colère noire qui me faisait trembler. Ce qui m’a tout de même calmé, c’est de voir que les agents de police semblaient très gênés et, j’ose le dire, emmerdés d’intervenir pour cela. Leur mimique montrait bien qu’ils le faisaient à contre-cœur, mais je ne comprenais pas pourquoi. Si c’était à contre-cœur, rien ne les obligeait à s’arrêter pour m’interpeller sur cette banderole. J’étais outrée que l’on m’empêche à ce point de réclamer de l’argent pour les services publics, alors même que l’on applaudissait tous les soirs comme des héros les soignants.
C’est le lendemain que j’ai rassemblé le puzzle... Mon propriétaire m’a écrit par SMS pour m’informer. Un voisin de l’immeuble, cabinet d’assurance, l’a contacté en tant que propriétaire pour le forcer à me faire enlever ma banderole (puisque les policiers n’avaient pas réussi à me la faire enlever). J’ai eu de la chance car mon propriétaire a été très compréhensif. Il a refusé de me priver de cette liberté, en précisant qu’il avait un profond respect pour mon engagement militant.
Il est donc fort possible que ce soit sur dénonciation que la police soit intervenue, ce qui expliquerait pourquoi les policiers semblaient si gênés d’intervenir.
J’ai donc été dénoncée par un cabinet d’assurance, voisin de mon appartement, pour des propos qui ne sont ni insultants ni diffamatoires. Des slogans que nous utilisons en manifestation n’avaient pas le droit d’être affichés sur ma fenêtre.
C’est ce qui me met en colère. Tout le monde était Charlie il n’y a pas si longtemps pour défendre la liberté d’expression. Mais encore une fois, comme en toute chose dans notre société, la classe compte. Il y a le confinement de classe, et il y a une liberté d’expression par classe. Celle d’un journal comme Charlie peut faire descendre la France entière dans la rue, celle d’une militante pour défendre les services publics peut rendre normal une intervention policière sur dénonciation anonyme.
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