Inquiétants bikers sur Nancy

Nancy (54) |

Depuis trois ans, des clubs de bikers néonazis se développent dans le Grand Est. Et surtout se détestent. Une vraie concurrence, voire une guéguerre. A surveiller de près !

Alerta, alerta, antifascista ! Cela faisait quelques mois que l’information bruissait dans les milieux militants et antifas. Après les dissolutions de ses troupes violentes et stéroïdées "Troisième voie" et "Jeunesses nationalistes révolutionnaires", suite au meurtre en juin 2013 du camarade Clément Meric, il fallait bien que le chef de meute Serge Ayoub (aka "Batskin") retombe sur ses pieds. Chef un jour, chef toujours !

Le voici donc depuis trois ans chef d’une nouvelle bande de bikers, "un club affilié au crime organisé", avec des teigneux aux relents néonazis : "GMC". Trois lettres pour "Gremium motorcycle club". Depuis son nouveau fief au sud de Soissons (exactement à Berzy-le-Sec, à une cinquantaine de kilomètres de Reims), il dirige avec toujours la même main de fer, "un gang international de motards 1% – en référence aux 1% de bikers criminels, qui ne respecteraient pas la loi – comme les Hells Angels ou les Bandidos" [1]. Ils aiment entre autres les croix de fer de l’armée nazie, les pitbulls, "les valeurs européennes", les motos noires rutilantes, "la vie en meute", les runes nordiques, etc. Des mâles virils, barbus et tatoués ! "En rejoignant les Gremium, Ayoub fait allégeance au crime organisé", explique un journaliste de Streetpress. Même si, tempère un criminologue : "Il semblerait que les Gremium France soient moins criminalisés que d’autres gangs". Et ce dernier d’ajouter : "On est plus, ici, sur une milice privée de Serge Ayoub." [1]

De Gaulle, du Grémium-Nancy aux Vagos-Metz

Ville après ville, l’historique Serge Ayoub tente de mettre la main sur les bikers du Grand Est (et un peu au-delà). Les GMC revendiquent maintenant neuf chapitres (antennes locales) : Soissons (le QG d’Ayoub depuis plusieurs années), Reims (51), Bar-le-Duc (55), Nancy (54), Amiens (60), Saint-Quentin (02), Quimper (29) et plus au sud, Moulins (03) et Vichy (03).

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Des bikers GMC de toute la France, dont Serge Ayoub (en blanc au centre) et des nancéiens devant leur local (février 2022)

Le chapitre GMC nancéien (nommé "East front"), le second à avoir vu le jour après celui d’Ayoub, a officiellement été ouvert en avril 2019. Leur local est installé dans la rue principale d’un petit village d’environ 300 habitant.es, dans la campagne verte et agricole du Saintois, à environ 20km de Nancy. Ce local existait déjà pour l’ancien groupe de bikers d’Ayoub, les "Black seven France" (existence jusqu’en 2018). Dans cet ancien garage automobile à la façade noire, blanche et opaque, ils s’y retrouvent de temps à autre et y organisent parfois des soirées entre hommes (club de motards non-mixte). "On ne les voit pas trop souvent, accepte de nous témoigner une habitante. Mais quand ils viennent ici, on les entend bien sûr avec leurs grosses motos. Surtout certains soirs quand ils sont en bande. Mais je ne crois pas qu’on ait eu des problèmes pour le moment dans notre village".

Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille quand on fait partie de ce type de Motorcycle. L’ancien président du GMC de Nancy, qui se fait appeler "Thor de Gaulle", s’est fait virer de son poste en décembre 2021. Pourtant au côté de Serge Ayoub depuis 2018, "il voulait être calife à la place d’Ayoub" [2], selon le journal Streetpress. Viré en peu de temps. Pour bien cloisonner les choses, les nouveaux responsables ont ensuite transformé leur page Facebook en un groupe privé et fermé, comptant actuellement 700 abonnés (amateurs locaux, français et européens).

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L’équipe de bikers nancéiens ("East Front") avec notamment leur trésorier, leur nouveau président et leur chef sécurité

Pas content du tout, Thor le barbu est parti dans la ville d’à côté, Metz (57), pour monter aussi sec une antenne locale des "Vagos", un autre club de motards nazifiant. Comme les GMC d’Ayoub, ils aiment tout autant les références nazies et les runes nordiques. Cet autre Motorcycle est aussi déjà installé à Strasbourg et à Toulon. Une véritable concurrence. Ah ça, Serge, il n’a pas dû aimer ! Pour Batskin, la notion de chef est totale. Le premier qui ne pense pas comme le patron ou celui qui s’embrouille avec un de ses chiens de garde, va droit vers les ennuis.

Autre exemple local de la discipline qui doit régner chez Ayoub. Fin avril 2020, à peine un an après la mise en place du chapitre nancéien, deux de ses membres locaux sont exclus : "Kriss et Jim ne méritent plus d’être Hangarounds Nancy (invités [3], NDLR). Tout contact avec eux est impossible. (...) Aucun retour dans notre famille sera possible". Dans ce message Facebook, en français et en allemand, les consignes sont très claires. On ne blague pas avec les ordres du chef ! Notons au passage que le pseudo sur Facebook du fameux Kriss est "Kriss panzer". Ou l’amour probable des divisions blindées de l’armée d’Hitler. "Gremium forever, forever Gremium" [4], notent tous ces bikers sur leurs publications. Forever, forever... enfin, pas pour longtemps parfois !

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La fête d’été des bikers dans leur local près de Nancy

Courant juin, ces bikers viennent d’organiser une virée à motos entre leur local de Nancy et leur local de Soissons, en faisant un crochet par leur fief de Reims, en hommage à un de leur "frère" décédé il y a un an. Et l’équipe nancéienne prévoit le samedi 16 juillet au soir une "fête d’été" dans leur club-house à côté de Nancy.

Bar-le-Duc et son musicien néonazi !

Autre club à moins de 100km de Nancy : Bar-le-Duc dans la Meuse (55). Le chapitre GMC barisien (nommé "Voie sacrée") a été ouvert un peu plus tard, en janvier 2020. Le président est Stéphane Bizot (50 ans, originaire de la région parisienne), bras droit et homme de confiance de Serge Ayoub, ex-vice président du GMC de Soissons, la maison-mère. Ce biker très tatoué, aussi chef de la sécurité, a déjà été condamné en décembre 2002 pour apologie de crime contre l’humanité [5], pour avoir écrit, trois mois auparavant, des commentaires antisémites sur le livre d’or du camp de concentration du Struthof en Alsace (avec son comparse Jérôme Laurent, déjà condamné encore avant pour le même genre de faits). Bizot avait aussi été candidat MNR (pour Bruno Mégret) aux élections législatives de juin 2002, dans le Val-de-Marne (94). La Horde le décrit [6] comme un proche des "Jeunesses identitaires" en 2004 et comme un ex-membre du groupe de musique RAC (Rock against communism) "Durandal" dans les années 90 (groupe de métal de la région parisienne).

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L’ouverture de l’antenne de Bar-le-Duc ("Voie sacrée"), avec Stéphane Bizot (le grand qui tient la pancarte)

Autre histoire. En juin 2021, dans un petit village juste à la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne, au moins trois bikers naziskins de ce "Gremium MC" s’embrouillent sérieusement. Les deux assaillants viennent semble-t-il voler la moto du troisième, que Streetpress appelle Didier. L’un des deux, David L. alias "Rouckess" (ex-Strasbourgeois du Bastion social et de leur local "L’Arcadia" [7]), entaille le visage de son adversaire à coups de couteau. La gendarmerie intervient. Rouckess, naziskin et ex-chef de la sécurité du chapitre de Bar-le-Duc, finit en garde à vue et en prison. Il semble toujours être en détention provisoire, en attendant son procès. [MàJ 15/07/22. En fait, il s’avère qu’il est sorti de prison.] Six mois plus tard, un autre ami à Didier, le même genre de biker, "la lèvre ouverte, l’œil gonflé et le front en sang, affirme s’être fait passer à tabac par trois membres des Gremium, issus selon lui des chapitres de Nancy et de Bar-le-Duc. Lui et Didier en sont persuadés : ils ont payé leur départ brutal de ce gang de motos très particulier. (...) Selon un autre ancien du MC, les représailles ont été commanditées par le chef de la branche française : Serge Ayoub, dit Batskin, une figure historique du mouvement skinhead français." [1] En claquant la porte de ce club de motards, cet ami a également dénoncé sur Facebook « une gestion financière arbitraire » et « un engrenage géré par des escrocs ». Ce que nie évidemment Batskin.

Une anecdote : le biker tabassé a reçu le soutien d’un autre ex-biker néonazi de Batskin, Sébastien Favier dit "Sanglier". Un gaillard aux idées très courtes et au CV nationaliste bien rempli. Il a été un compagnon de route d’Ayoub durant une quinzaine d’années, mais il a été lâché par le chef suite au saccage de l’Arc de Triomphe en décembre 2018 (lors des mobilisations des Gilets jaunes) puis à son incarcération [8]. A sa sortie de prison, très amer, Sanglier l’a fait savoir sur les réseaux sociaux : "Les grandes gueules quand on me l’a bien fait à l’envers ou quand j’étais en tôle, je n’en ai pas entendu beaucoup ... Même mon préz ne me connaissait plus ...".

Trois brutes violentes à Besançon

Enfin, le tableau devient encore plus inquiétant, si on regarde chez nos voisin.es franc-comtois.es et si on ajoute que deux anciens bikers du Gremium MC d’Ayoub, pourtant bien potes avec ce dernier à une époque, ont aussi claqué la porte de son Motorcycle, fâchés, pour monter à Besançon un autre club de motards nazifiants, les "Bandidos" [9]. Ces derniers ont déjà fait parler d’eux, en mars 2018, dans notre secteur, à Pont-à-Mousson (à 30km de Nancy), car des Bandidos alsaciens se sont battus avec des bikers messins (les "No surrender", soit "Pas de capitulation" en français, tout un programme !), lors d’un salon commercial de la moto. Dix membres lorrains de ces bikers avaient été arrêtés et des armes de gros calibres avaient été retrouvées à leurs domiciles. De plus, lors de l’arrestation de leur leader à Saint-Dizier (52), ce dernier a accueilli les hommes du RAID et de la BRI, venus le cueillir à son domicile, à coups de revolver 357 Magnum [10].

Du côté de Besançon, deux des gugusses en question sont très connus des antifas de Franche-Comté : les frères Marc et Julien Bettoni [11]. Néonazis notoires et actifs durant une période pour le groupe terroriste et armé "Blood and Honor - Combat 18", ce sont deux brutes, plusieurs fois condamnées et incarcérées du fait de leur violence. Les deux naziskins avaient déjà fait un court passage par les "Hells angels" à Colmar (68), club démantelé par la police sur fond de trafic de drogue et d’armes. Et avant ce Gremium MC, les deux frangins étaient déjà de l’aventure bikers dans l’ancien groupe "Black seven France", aux côtés du même Serge Ayoub.

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De gauche à droite : Sébastien Favier (arrière plan), les 2 frères Bettoni et Serge Ayoub (photo : La Horde)

Le troisième larron de Besançon est un pote des frères Bettoni, il s’agit de Sébastien Favier. Très connu de "Fafwatch Franche-Comté", ce militant facho est passé par les JNR, l’organisation dissoute de Serge Ayoub et avait intégré le club de bikers d’Ayoub les "Praetorians MC" puis les "Black 7" et enfin le "Gremium MC France". Selon un article récent [12], on comprend que Sébastien Favier a communiqué, dès le 15 mai, concernant le rassemblement néonazi qui s’est tenu le 14 mai dernier à Saintes-Croix-aux-Mines (Alsace). De là à penser qu’il aurait pu faire partie de la délégation comtoise présente à cet évènement délictueux (puisque faisant l’apologie de crimes contre l’humanité), il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas.

C’est du lourd ! Tant qu’ils se battent entre eux, c’est autant de haine et de violence qu’ils ne déversent pas ailleurs. Mais ne nous y trompons pas : ces clubs de néonazis sont autant de lieux où s’entraînent, se coordonnent et se renforcent des réseaux militants racistes, fascistes et violents, dont l’objectif est de s’attaquer à tout ce qui ne leur ressemble pas. Alors qu’ils soient à pieds, à moto ou à cheval, les nazis sont tous à dégager ! Notre combat antifa doit être à la hauteur !

BAF - Bloc antifasciste Nancy

P.-S.

Photo de Une : La Horde

(Mise à jour du 8 octobre 2022 : le titre original de l’article a été modifié grâce à la constructive remarque d’un lecteur.)


Notes

[3Il y a des grades avant d’être totalement membre de ce type de club : "support", puis "hangaround", puis "prospect", puis enfin "full patch", c’est-à-dire la remise officielle par le boss, lors d’une cérémonie enflammée, de la veste en cuir sans manche noire et siglée, qui leur sert d’uniforme

[4Ou de manière parfois codée, "GFFG" ou chiffrée "7667"

[9Les "Bandidos", un club de bikers déjà installé sur Strasbourg et Dijon

[11D’autres infos sur les deux frères Bettoni sur https://fafwatch2.noblogs.org/