Déshumanisation en marche



Fête de la musique, quai Président-Wilson à Nantes, dans la nuit du 21 au 22 juin, vers 4 heures 30 : les flics gazent et chargent indistinctement, au moins 14 personnes tombent dans la Loire, un homme de 24 ans reste disparu.

Sit-in pacifique de militants écologistes sur le Pont Sully à Paris, vendredi 28 juin après-midi : les flics gazent et évacuent de force les gens assis à terre, qui ne font qu’opposer une résistance passive à l’agression.

À moins d’une semaine d’intervalle, les deux événements ont fait vivement réagir la presse et les médias nationaux. On aurait aimé les voir aussi prompts à dénoncer les violences policières quand les cibles des forces de l’ordre étaient les Gilets Jaunes, mais il faut croire que les journalistes ont une empathie à géométrie variable selon le milieu social visé… Mais au fond, c’est la même logique et une parfaite continuité.

Les flics sont lâchés depuis novembre 2015 et l’instauration de l’état d’urgence, ils se sont déchaînés avec les manifestations contre la loi Travail au printemps 2016, sous Hollande, et ont augmenté d’un cran sérieux avec la mobilisation des Gilets Jaunes, depuis novembre dernier. Violences multiples, avec l’appui des ministres de l’Intérieur et des médias, et dans une quasi-impunité judiciaire. Ce n’est pas le tout de lâcher les chiens : si personne ne les siffle, ils n’ont pas de raison de revenir à la niche. Alors ensuite, cela déborde inévitablement sur les fêtards ou les jeunes écolos pacifistes.

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Rien ne les retient. Les forces de l’ordre se sont habituées au fil des mois à réprimer sans avoir à s’inquiéter. Les vidéos à charge peuvent tourner sur les réseaux sociaux, certaines être parfois reprises par des médias nationaux, rien n’y fait : on n’a pas connaissance d’un flic qui aurait été inquiété suite à ces débordements. Parce qu’au fond il n’y a pas de débordement : il y a un État, c’est-à-dire « une bande d’hommes armés », qui travaille au maintien d’un ordre social inégalitaire.

Alors on glisse tout naturellement vers une déshumanisation. Pas tant celle des hommes et des femmes protégé∙es par leurs carapaces de CRS ou de gendarmes mobiles, qui assument le choix de renoncer à leur humanité quand ils distribuent coups de matraque, gaz et LBD à tout va, que la déshumanisation des manifestant∙es par les premiers. C’est le résultat de l’extension à tout le mouvement social du dispositif répressif appliqué depuis plusieurs décennies dans les quartiers populaires et particulièrement contre les personnes issues de l’immigration : une attitude de police coloniale qui considère qu’elle a affaire à des êtres inférieurs, que l’on peut agenouiller pendant des heures avec les bras derrière la tête sans avoir à rendre de comptes. Une attitude qui réduit l’autre à un parasite dont on peut se débarrasser en le jetant à l’eau ou avec une gazeuse. En bref, une attitude nourrie par le traitement infligé par les gouvernements européens aux migrant∙es, qui hiérarchise les vies et qui, si nos sociétés s’y habituent, les conduira tout droit à la barbarie.

Léo P.

Article paru dans RésisteR ! #63 le 5 juillet 2019.