9 janvier : Une manifestation historique ?

Nancy (54) |

Hier s’est tenu un moment assez phénoménal pour cette tranquille bourgade qu’est Nancy.

Un cortège pour tous.tes

Tout devait se passer sans encombres, un syndicat après l’autre dans l’énième marche funèbre célébrant la mort d’un de nos acquis… et Pourtant ! quelle ne fut pas la surprise de tout le monde.

Les syndicalistes, les flics et nous-mêmes manifestant.es et grévistes avons été surpris par l’ampleur de ce cortège de tête. Allez, à la louche, entre 1000 et 2000 personnes ?

Franchement on pensait que si on arrivait à être 200 ce serait super. Cela en dit long sur la volonté des personnes en lutte contre cette réforme de dépasser les structures conventionnelles.

Un bon gros mélange bigarré de syndicalistes, de libertaires, de gilets jaunes, et de bipèdes humanoïdes se promenant sans code barre politique permettant leur identification.

Le point culminant de cette manifestation a été l’assemblée générale rue Saint-Jean où ont pu prendre la parole des cheminottes, retraités, étudiantes, danseur du ballet de Lorraine en grève et autres gilets jaunes. Tous.tes ont rappelé l’importance de soutenir les grévistes, de battre le gouvernement et de passer à l’action. De mémoire de XXIe siècle on n’avait jamais vu une manifestation animée par un même sentiment d’appartenance à un cortège revendicatif à Nancy.

JPEG - 1.6 Mo

Une pensée pour les bureaucrates

« Ça fait 120 ans qu’on est en tête de manif, c’est pas aujourd’hui que ça va changer » annonçait un membre bureaucrate de la CGT à ses adhérent.es alors qu’une partie d’entre elleux rejoignait le cortège unitaire.

Cela peut faire sourire et même donner envie de dire « mais quel gros beauf ! », cependant cette candeur désespérée cache autre chose.

C’est le malaise généralisé de la structure. En effet l’outil syndical est à juste titre perçu comme l’élément nécessaire à la mobilisation et pour cela les directions syndicales entendent piloter la grève, le mouvement et les initiatives afin de continuer à être crédibles vis-à-vis de leur interlocuteur priviligié : le pouvoir.

Le problème principal des syndicats est qu’une partie de plus en plus importante de la base ne reconnaît plus la légitimité de ce pouvoir dont ils veulent se faire les « partenanaires sociaux ».

Le mouvement des Gilets Jaunes, le nombre croissant de personnes affirmant qu’elles ne voteront plus, l’inexistence d’un dialogue avec les élus sont autant d’éléments qui ont coupé la base de ses représentants.

Là dedans les dirigeants syndicaux sont bien emmerdés.

Comment organiser la lutte avec des personnes qui haïssent le pouvoir avec qui ils voudraient dialoguer ? Forcement ça pique. Mais pourquoi existe-t-il un tel écart entre les différents objectifs des structures syndicales ?

Cela, cher lectorat, c’est historique.

L’exemple de la CGT est assez exemplaire de par ses prétentions clairement révolutionnaires et libertaires à sa création en comparaison avec cette forme de conservatisme qui a poussé notre ami à dire « ça fait 120 ans que gnagnagna ». En devenant un appareil centralisateur suivant la ligne politique du Parti communiste depuis les années 1920, la CGT a suivi l’évolution de ce parti en devenant de plus en plus un outil républicain ne cherchant plus à renverser la société capitaliste mais à la transformer par étapes grâce au vote et aux institutions. Depuis la chute de l’URSS et donc du référent politique du PCF, la CGT s’est retrouvée orpheline d’une vision politique forte (quoi qu’on en pense).

Entre ses reniements quant à l’auto-organisation des travailleurs et sa vision étatiste de la lutte, la CGT a conservé une habitude d’être une institution sociale tout en se dépolitisant au cours des trente dernières années. La fin de « l’idéal rouge » a conforté les structures syndicales dans ses prérogatives de « partenaire » et non plus d’opposant historique. Le fait que les syndicats ne soient plus offensifs mais défensifs est la conséquence de ce divorce qui fait penser à une bonne part des syndicalistes qu’il serait de bon ton de renouer avec des pratiques d’auto-organisation qui étaient à la base de la création des syndicats !

Lorsque la CGT a négocié avec la police afin d’obtenir un parcours Bis pendant la manif du 9 janvier pour repasser devant le cortège de tête, ce n’était pas seulement l’expression pathétique de dirigeants syndicaux frustrés ; c’était une volonté de maintenir l’illusion que la structure réformiste dont ils sont les réprésentants est toujours l’outil a privilégier. A force de laisser les discours des managers les définir comme « partenaires » en dépolitisant leur enjeux, les syndicats ont laissé les Gilets jaunes et leur base renouer avec le passé de leur propre structure qui pousse à l’indépendance et la critique des insititutions qui nous dirigent.

Faut-il blâmer pour autant les syndicats ? Surement pas.

Il est nécessaire que les syndicalistes réaffirment leur rôle au sein de structures devant être pensées comme des outils de luttes et non comme des faire-valoirs de petits chefs politiquement inconséquents.

Repenser la rue

Un aspect intéressant de cette dimension historique que maîtrisent bien les organes de pouvoir c’est la capacité à refaire l’histoire. Lorsque cela se passe sur une centaine d’année on parle de « révision de l’histoire », lorsque cela se passe en une journée cela se nomme de la manipulation médiatique !

En effet sur le moment le fil de L’Est Républicain du jeudi 9 janvier relatait les faits :

une manifestation divisée au cours de laquelle la CGT s’est « désolidarisée » alors que le cortège de tête organisait une assemblée générale avec, entre autre : des syndicalistes, des étudiantes, des gilets jaunes, etc.

Le lendemain l’article de référence sur le même journal est un ensemble de photographies qui montrent bien la présence de la CGT en prenant soin de ne pas mettre en avant les banderoles qui pourtant étaient en tête cette fois-ci ! Il n’est pas lieu ici de dire que L’Est Républicain est à la botte de la CGT mais bien que naturellement le partenaire social reprend le devant de l’affiche alors qu’il s’est justement passé une chose inédite depuis 120 ans à Nancy.

Cette évolution médiatique alimente le discours officiel de la CGT et de FO qui voient dans notre initiative une « manoeuvre politique » d’un « groupe minoritaire » ayant pour but de « diviser la grande majorité des manifestants »… C’est là le jeu habituel des structures dirigeantes de s’auto-proclamer porte parole de la majorité alors même que se dérobent sous leurs pieds les contingents qui les légitimaient.

Reprendre la tête du cortège et transformer cette tête en assemblée n’a pas été que symbolique car cette manifestation peut faire prendre conscience à la base de sa capacité d’agir et d’occuper la rue.

Aucun policier n’a tenté de bouger les plusieurs centaines de personnes pendant notre occupation du point central. Les flics sont intervenus justement car nous avons commencé à ne plus être assez nombreux après la fin de l’assemblée.

Les manifs comme les blocages peuvent être des réussites seulement si nous en faisons des moyens d’action que peuvent s’approprier le plus grand nombre.

Pour cela il est nécessaire de structurer nos initiatives comme celle de l’interpro ou du cortège de tête afin de fédérer les différentes composantes de la lutte. L’auto-média par l’utilisation de Manif’Est ou la création du journal Assemblage qui a été diffusé pendant cette manifestation est un début de réalisation d’une pensée critique et indépendante sur Nancy, mais elle doit s’accompagner de prise de contact entre manifestant.es afin de renforcer les effectifs nécessaires aux actions de blocages.

Il s’agit pour la base de repenser la rue afin d’en faire un moment nécessaire à l’organisation et à l’action.

Notre voix doit exister pendant les cortèges, sur la toile et jusque dans les journaux qui tapissent les toilettes des organisations syndicales !

L’auto-organisation des travailleur.euses ne peut plus demeurer un slogan de fin de cortège, ce mouvement social est l’occasion pour nous, les révolutionnaires citoyenno-rebelles, de nous donner les moyens d’agir.

L’information est un début
nos actions un moyen
pour une liberté sans faim.

Merci à l’interpro et à toutes celles et ceux qui cassent leur codes habituels pour faire du bannissement de ce gouvernement une priorité.

L’unité, oui ! Entre celles et ceux de la base !