Récit d’une femme trans en garde à vue

Nancy (54) |

L’article à été publié à l’origine sur le blog https://transgrrrls.wordpress.com/ Vous pouvez aller le lire là-bas (je vous conseille d’aller jeter un œil au blog en entier, vous pourrez y trouver des choses intéressantes si vous vous intéressez au luttes queer/trans).

Ce texte est le témoignage de Françoise, une camarade trans de l’université de Nancy, interpellée lors des mobilisations du printemps 2018 contre la loi ORE.

Il n’aura échappé à personne que les réactions face à la loi ORE et à la sélection à l’université furent plus que nombreuses et importantes, je ne peux pas ici me permettre d’évoquer tout le mouvement en France qui a eu lieu durant plusieurs mois, ce n’est d’ailleurs pas le sujet de cet article, je vais juste commencer en vous parlant de Nancy, ici aussi comme ailleurs en France la fac de lettres à été bloquée pendant 33 jours avant de que l’intervention des forces de l’ordre n’ait lieu le 25 avril.

Quelques jours plus tard, le 3 mai, se tenait dans la fac, alors occupée par des vigiles et des caméras, une assemblée générale, qui ici, marque le début de mon témoignage. Je vais donc résumer rapidement cette partie sans entrer dans les détails. La salle des professeurs à été prise d’assaut, puis les portes des locaux syndicaux, qui avait été barricadées par des plaques de contreplaqués par l’université, ont été démontées rapidement après, c’est l’euphorie générale, une seconde assemblée se tient alors sur les marches de l’escalier des amphithéâtres où sont alors expliquées les raisons de s’opposer à la loi ORE, puis une partie des étudiant.e.s présent.e.s se rendent devant le second amphithéâtre où devaient se dérouler les partiels, puis font un sit-in devant. C’est à ce moment que les choses se corsent, voilà qu’arrivent les CRS, casqués et surarmés, les bloqueurs.euses se relèvent. S’en suit un long moment de tension entre les CRS attendant devant l’amphithéâtre et les étudiant.e.s en face, commençant à rentrer au compte goutte, surveillé.e.s par l’administration, dans la salle pour le partiel, bientôt il ne resta plus que les bloqueurs.euses dans la cour.

Je me retrouvais avec les autres, de moins en moins nombreux.ses, je sentais que les CRS n’attendraient pas pour charger. On m’interpella alors, c’était juste un type qui me demandait où se trouvaient les toilettes, rien de grave, je l’ai donc accompagné jusqu’à celles-ci, j’ai donc dû m’éloigner du groupe un moment... Ce que j’ai amèrement regretté. J’arrive devant les toilettes, je laisse le type y aller, j’attends, puis je vois 3 personnes entrer juste après nous, iels s’approchent de moi. Je remarque un brassard orange sur le bras du 1er, je me dis que c’est sûrement un vigile qui vient m’engueuler ou je ne sais quoi, puis soudain... « Police, veuillez nous suivre » en sortant sa carte de sa veste. Je dois dire que ça je ne m’y attendais pas. Iels m’ont alors demandé ma carte d’identité, je leur ai donnée en leur précisant qu’elle n’était pas à jour et que mon prénom d’usage était Françoise, parce que quitte à se faire arrêter, autant qu’ils me genrent bien pendant les interrogatoires, la réflexion du flic n’était pas à la hauteur... « Bon faudra penser à la mettre à jour alors, mais là on va la jouer officielle et ce sera Monsieur, suivez-nous », bon en même temps c’est des flics, pas le summum de l’ouverture d’esprit, je vois le type que j’avais accompagné qui sort des WC, j’ai juste le temps de lui dire de prévenir les autres avant d’être emmenée, bref, mon histoire, ou du moins celle que je voulais vous raconter, commence vraiment ici.

Je détaillerai ici mon vécu de 48h dans un commissariat en France en tant que femme trans, ce n’est que mon expérience, mais il se peut qu’elle soit utile, qui sait...

J’arrive donc à la voiture de police, je monte dedans, puis un flic débarque, un petit gars, jambes arquées, qui se prenait vraiment pour un cow-boy est venu me voir, il m’a pris mon téléphone (que les autres flics m’avait un peu laissé) et l’a balancé à l’autre bout de la voiture avant de me sortir « Eh bah maintenant tu fais moins la belle que tout à l’heure hein ! », c’est une remarque gratuite d’un niveau assez affligeant. La voiture démarre et me voilà emmenée jusqu’au commissariat Lobau, je me sentais très mal sur le coup, je ne savais pas comment réagir, je n’ai jamais eu affaire à la police par le passé, je stressais, mais j’essayais de ne pas trop le montrer. Le seul petit moment de bonheur fut quand j’entendis à la station de la police qu’un cortège de manifestant.e.s se dirigeait vers le commissariat, je me sentais soutenue à ce moment.

Me voilà donc arrivée devant ce lieu, je croise alors une camarade, elle aussi attrapée par la police, nous nous mettons alors à chanter toutes les deux toutes les chansons révolutionnaires que nous connaissions, je me sentais moins seule déjà... Vint ensuite le moment de la fouille, nous voilà séparées, à peine le temps de se faire un câlin, on nous arrache l’une de l’autre. J’entre dans la salle, avec le flic qui m’a arrêtée, et revoici le cow-boy qui entre, il fouille mes affaires, regarde ma carte d’identité, puis s’exclame « Ah mais c’est un mec en fait... je vais pouvoir le fouiller » sur un ton qui transpirait la crasse et la vulgarité, il s’exécute donc, j’essaie de penser à autre chose. Après cela, le 1er flic m’accompagne devant sa collègue à qui il montre ma carte, en lui précisant au passage, « C’est monsieur, enfin un monsieur/madame quoi » je crois que c’est difficile de faire plus maladroit et gênant comme remarque. Son collègue le cow-boy sortant de la salle se mit devant moi et me regardant avec un air circonspect et me dit ceci « Tu fais flipper toi hein ! T’as une gueule qui fait flipper ». Le 1er flic m’emmène donc dans ma cellule, une pièce sans toilette, ni lavabo... où je n’ai trouvé rien d’autre à faire que chanter L’Internationale en boucle pour me passer le temps, je pensais que les vitres était insonorisées, jusqu’à ce que j’entende un grand « TA GUEULE ! » de l’autre bout du couloir, un des seuls moments drôles je crois.

Après une demi-heure passée à chanter, un flic vient me chercher, il m’emmène voir mon avocate avant l’interrogatoire. Ce fut un moment difficile pour moi, j’ai pleuré pendant que j’étais avec elle, je savais que la garde à vue allait être longue et éprouvante, que les remarques allaient continuer, que je risquais de craquer... je stressais, elle m’a un peu réconfortée puis nous nous sommes rendues dans la salle d’audition.

Je vais passer vite sur cette partie qui se résumerait à une suite de questions sur l’événement auquel je ne donnais comme réponse que le silence, même aux questions les plus anodines, je ne parle pas, j’ai peur de m’emporter ou de craquer, une fois ce moment chiant passé je sors de la salle et j’entends derrière moi des gens qui parlent « Eh tu penses que c’est une meuf ou un mec ? », j’arrive aussi à entendre 2 ou 3 mots dont je ne préfère pas me rappeler ainsi que des allusions sur mon poids.

Me revoilà dans le couloir vers ma cellule, à ce moment un vieux type sort d’une salle et demande au flic si j’ai déjà passé les tests ADN, et puisque je ne l’avais pas encore fait il me dit de le suivre. J’arrive dans une salle où je vois un de mes camarades en train de se faire prendre ses empreintes par 2 flics de la police scientifique, la 1ere une dame plutôt jeune et qui ne me semble pas trop agressive (ce qui est suffisamment rare pour le noter), elle m’a bien genrée au féminin, elle n’a pas utilisé mon deadname, je sais que je ne devrais pas me réjouir d’une personne non transphobe, elle m’a juste traitée normalement au fond, mais là ça m’a fait du bien, même si ça reste une flic... En revanche son vieux collègue c’est une autre histoire. Il a passé tout son temps à forcer sur mon deadname « Alors FRANCOIS nomdefamille... », « Et pourquoi tu veux qu’on t’appelle Françoise ? » en rigolant, parce que oui faut croire que c’est trop drôle. Sa collègue le rappelle un peu à l’ordre et lui dit qu’il doit respecter mon choix et me genrer correctement, ce à quoi il répond : « Ah, pourquoi tu respectes ça toi ? », là c’est plus juste quelqu’un de maladroit ou d’idiot, il est ouvertement transphobe, puisqu’il a encore continué à forcer sur ça après. Après mon fichage je retourne dans ma cellule, enfin on m’en change puisque maintenant c’est du luxe j’ai des toilettes. S’ensuit ensuite une longue fin de journée où tout ce que je noterais sera un plat périmé qu’on m’a servi le soir et du mal à dormir avec un néon en permanence allumé au dessus de moi. Sauf que vers trois heures du matin entre dans ma piaule un flic qui était venu chercher un verre d’eau au robinet pour le prisonnier d’à coté, la 1ère chose qu’il a dite en me voyant fut : « Non mais t’as vu la gueule que t’as ? Tu trouveras jamais de travail avec la gueule que tu te payes ! », je n’ai rien à commenter sur ça.

Le lendemain rien de spécial jusqu’à ce que deux types entrent dans ma cellule et viennent me demander mon code PIN... Que pouvaient-ils chercher ? Je stresse, je dis quoi ? Et si je refuse ? Mais n’est-ce pas un peu délirant de fouiller dans le portable de simples étudiant.e.s, ont n’est pas des terroristes quand même, mais bon j’ai craqué je l’ai donné... J’ai honte, je sais pas ce qu’ils ont pu voir, y’avait les numéros des autres et des photos de moi, disons, privées... J’ai complètement pété un câble à ce moment, je me faisais des films dans ma tête, pour moi ils avaient des noms et des numéros ça y est ils peuvent perquisitionner et arrêter tout le monde, et en même temps j’avais aussi peur parce qu’il y avait aussi des choses vraiment privées, et n’ayant aucune confiance en cette institution dégueulasse j’avais peur de savoir ce qu’ils pourraient en faire... Un autre flic vient me chercher après et m’emmène devant l’avocate, ce coup-ci je n’ai pas pleuré je l’avais fait quelques minutes avant. Elle m’explique rapidement comment ça va se passer puis dit qu’elle me rejoindrait en haut. C’est donc le flic qui m’accompagne encore un nouveau, un espèce de caïd avec une tête de mec de la Gestapo qui a dû, j’imagine, prendre son pied en me parlant comme à un chien, en me traitant comme une débile. Je me sentais mal, j’avais peur... bref après encore quelques humiliations et m’être faite encore traiter comme une merde j’arrive dans la même salle d’audition, et encore une fois, question, silence, question, silence. Heureusement les flics ne sont pas tombés sur mes photos « personnelles », sur ce coup-la j’ai eu de la chance.

Je sors donc de la pièce, un flic me raccompagne, je lui demande si je peux aller aux toilettes avant, il me dit oui, j’y vais... mais je dois laisser la porte ouverte... La raison à cela m’échappe, c’est juste humiliant. Après cela je sors, on passe par les couloirs jusqu’à ma cellule, subissant toujours les regards violent et remplis de jugement de ses collègues qui n’avaient jamais dû voir de personne comme moi dans leur petit monde d’hétéro-cis.

Me revoilà en cellule, toujours à essayer de faire passer le temps... à chanter, réciter des poèmes, parler, dormir, discuter avec les autres à travers le tiroir sur la porte, puis enfin, après tout ça... penser... sûrement la pire chose à faire quand on est dans sa cellule... réfléchir, regretter ce qu’on a fait, créer des scénarios alternatifs, se dire que si on avait fait ci ou ça... tout en extrapolant les conséquences de nos actes...

Cette seconde nuit s’achève, toujours aussi peu reposante avec la lumière froide et blanche du néon constamment allumé et l’œil de la caméra qui saisit toute la pièce et empêche de tout, vous ne savez pas si un flic vous regarde, mais ils ne peuvent pas tout voir en même temps, mais rien ne vous dit non plus qu’il ne vous braque pas en permanence. C’est comme le panoptique cette caméra, vous ne savez pas si on vous voit, alors dans le doute vous ne faites plus rien, vous pourriez être vue, vous vous surveillez vous-même, vous n’osez pas passer votre main par le tiroir de la cellule ou gratter le matelas pour écrire dessus, ça pourrait être puni ça aussi, absurde avec le recul, mais sur le coup vous ne faites plus rien, tout pourrait être un délit, vous vous surveillez vous-même.

Je passe mes dernières heures dans cette cellule, je le sens, on me sert mon dernier repas, certains de mes camarades commencent à sortir pour être emmenés au tribunal et voir le procureur pour la date du procès. L’attente s’éternise, les heures deviennent des semaines, je sais que la fin est proche mais elle me semble ne jamais arriver. Et pourtant si, un flic vient m’ouvrir, il me dit de prendre mes chaussures et de suivre les deux gros gorilles qui mettaient les menottes aux autres, des menottes... genre comme si on était ultra violent et qu’il fallait nous contrôler à ce point, on nous fait signer un papier pour sortir puis on nous emmène dans un fourgon, un fourgon blindé, avec des cellules individuelles, grillagées, une vitre de plexiglas entre nous et les flics et les menottes dans le dos... j’avais réellement l’impression d’être traitée comme si j’étais Hannibal Lecter ou une terroriste. C’était ridicule de traiter de simples étudiant.e.s comme ça, aucun d’entre nous n’avait la force pour bousculer un seul de ces types, alors pourquoi sortir l’attirail à ce point ? Probablement plutôt pour nous impressionner, nous faire peur.

Nous voilà dans le tribunal, dans une vieille geôle sans lumière qui sentait l’urine, mon avocate vient me chercher et nous nous rendons dans le bureau du procureur pour connaître la date du procès, pas grand chose à dire sur ça, on m’a ensuite rendu mes affaires en redescendant et je suis sortie de ce lieu. Me voilà enfin en liberté ! J’avais l’impression de retrouver mon humanité, ma liberté, mon quotidien, et c’est comme si les 48h qui venaient de passer n’avaient pas existé, comme si après le 3 mai j’avais simplement dormi et qu’on était le lendemain. J’ai retrouvé tous mes camarades qui étaient là devant le tribunal, qui étaient venus pour nous accueillir et je dois dire, heureusement qu’iels étaient là, parce qu’après deux jours dans un commissariat à ne voir que des flics, ça fait du bien de retrouver des gens normaux.

J’ai commencé à rédiger cet article peu de temps après ma garde à vue, j’ai noté les faits au plus vite pour qu’ils puissent être les plus intacts possible, puis j’ai rédigé mon article vers le mois de juillet et me voilà au mois d’août à écrire la conclusion peu de temps avant mon procès, dans cette conclusion je détaillerai les répercussions de ce moment dans ma vie et comment je le vis aujourd’hui à froid.

Ça fait 3 mois depuis que cet événement s’est déroulé, j’ai repris ma vie normalement, comme tout le monde peut s’en douter, mais il m’arrive de temps en temps de repenser a ma GAV, des phrases qui reviennent, des sensations... Il y a quelques jours encore j’entendais dans ma tête « Ah mais c’est un mec en fait... », un horrible moment ou on te rappelle bien publiquement que non, tu ne sera jamais une femme, ou alors que si tu dis en être une tu mens, seule ta carte d’identité a raison, et tu auras beau dire que tu te sens comme on n’acceptera pas, on ne fera pas l’effort de changer pour toi. Hier soir encore je sentais la froide et lourde sensation des menottes sur mes mains, je voyais les flics me les mettre je le sentais comme si c’était réel c’était horrible, j’essayais de me debattre... bref depuis tout ce temps je n’arrive pas a me débarrasser de ça, je n’y pense pas tous les jours mais ça revient parfois.

Quand j’essaie de repenser à ça à froid tout me paraît presque irréel ou surréaliste, j’ai du mal a digérer ce que j’ai vécu en fait, j’essaie donc de poser les faits et de me remémorer (c’est aussi pour ça que j’écris cet article, pour moi, pour que je n’oublie pas ou ne déforme pas ce que j’ai vécu, et aussi pour aider quelqu’un qui pourrait être dans un cas similaire au mien à se sentir moins seule par exemple). Quand je réfléchis a mon expérience en GAV je me dis des fois que ça ne mériterait pas un article, je n’y suis restée que 48h, je n’ai pas vraiment été maltraitée, ou peut-être pas assez pour que ce soit intéressant, je n’ai peut-être pas vécu beaucoup de transphobie par rapport a certaines femmes trans en prison (qu’on met dans des prisons pour hommes, qu’on humilie, qu’on empêche de continuer leur traitement hormonal...) moi je n’ai juste vécu que des réflexions dégueulasses et des remarques rabaissantes, mais je sentais que je devais en parler.

14 août 2018