La situation ne s’améliorant évidemment pas avec l’arrivée du mois d’août, les interdictions et limitations préfectorales d’usage de l’eau sont en train de se multiplier un peu partout, avec les habituelles dérogations qui permettent aux golfs de continuer d’arroser leurs greens, aux producteurs de maïs d’irriguer leurs champs agro-chimiques sous le soleil brûlant, ou aux usines de pomper tout leur saoul pour continuer d’empoisonner la planète. Avec en tête de file les habituelles métallurgie, chimie, raffineries de pétrole et autres complexes de pâte à papier. Et ce, sans oublier bien sûr l’énergie nucléaire, puisque quatre centrales (Bugey, Golfech, Blayais, Saint-Alban) ayant atteint le seuil maximal de température pour leurs rejets thermiques dans les cours d’eau (devant normalement conduire à leur arrêt temporaire), viennent d’être autorisées de façon dérogatoire à augmenter encore la température des eaux rejetées dans les fleuves et les rivières, malgré les ravages supplémentaires provoqués sur leur faune et leur flore. Soit un nouvel exemple de comment l’énergie nucléaire contribue elle aussi au réchauffement de la planète (à Saint-Alban, la centrale nucléaire ajoute ainsi + 3° C dans le Rhône, entre l’amont et l’aval de ses réacteurs).
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas aller plus loin encore, en expérimentant par exemple de nouvelles techniques autoritaires de rationnement d’eau aux habitant·es, afin que le dispendieux monde techno-industriel puisse de son côté continuer d’avancer coûte que coûte vers le gouffre ?
Tournons-nous ainsi vers la petite ville de Gérardmer, dans les Vosges, qui après s’être enrichie sur une autre industrie des plus ravageuses –à savoir celle du tourisme de masse–, souffre actuellement d’une telle pénurie en eau dans ses nappes phréatiques, que la municipalité a tout bonnement décidé de la pomper dans son fameux lac. Et peu importe que le niveau de ce dernier baisse déjà par évaporation de plus de 3 centimètres par jour depuis des semaines. A partir du 3 août prochain et pendant « 48 heures minimum », d’après l’annonce des autorités locales, les heureux·ses habitant·es de la dite « Perle des Vosges » vont donc recevoir dans leurs robinets… de l’eau officiellement non-potable et « impropre à la consommation », celle directement puisée dans le plan d’eau infesté de crème solaire et de bateaux pour touristes ! Comme une sorte d’avant-goût pour la suite, puisque la mairie évoque déjà en sus de possibles coupures d’eau régulières, vu qu’aucune rotation de camions-citernes ne pourrait suffire à suppléer l’assèchement des nappes phréatiques dans ce qui est loin d’être un petit village isolé (Gérardmer compte 8 000 habitants, qui triplent en été).
Des camions-citernes ici, du rationnement forcé là, de l’eau non-potable dans les tuyaux ailleurs, des coupures régulières aux habitant·es comme cela se pratique déjà dans de nombreux pays pauvres, voire plus d’eau du tout (comme à Bargemon, dans le Var, approvisionné de 26 000 bouteilles pendant trois semaines)… tandis qu’elle coule en même temps à flot pour les industries directement responsables du réchauffement climatique, voilà ce qui semble tout·es nous attendre. A moins de se décider à envoyer valser une fois pour toutes la propagande étatique sur la « sobriété » et ses remèdes à base de solutions techniciennes, pour s’attaquer sans médiation aux causes du problème, qui n’est rien d’autre que le système techno-industriel lui-même.
Il y a quelques jours à Gérardmer-la-non-potable, dans un réflexe spontané et peut-être immédiat face aux annonces municipales, des inconnu·es se sont promené·es sur le chemin de la Mauselaine, bordé de résidences de location pour touristes. Au petit matin du 29 juillet, les propriétaires de cinq d’entre elles ont alors pu constater avec effarement le résultat de leurs travaux de réaménagement nocturne : après une effraction en bonne et due forme, plusieurs SPAs de luxe avaient été méticuleusement transpercés l’un après l’autre à l’aide d’outils, permettant à leur contenant de s’écouler vers les nappes phréatiques asséchées, avec des dégâts estimés à plus de 10 000 € selon le type de piscine à bulles concerné. Sur place, les noctambules avaient même pris soin de laisser un petit tag malicieux disant « L’eau, c’est fait pour boire, réveillez-vous », ce qui n’a évidemment pas manqué de provoquer l’ire du plumitif local de Vosges matin (2/8). Dans un grand élan réflexif si caractéristique de son métier de journaflic, ce dernier a en effet interrogé ses lecteurs à haute voix, afin de comprendre s’il s’agissait d’un « acte écologiste ou d’hydrophobie » !
Si cette action survenue à Gérardmer peut faire sourire, ne serait-ce qu’en imaginant la tronche déconfite des cinq proprios de SPAs pour touristes, elle nous en rappelle aussi une autre plus conséquente, survenue il n’y a pas si longtemps dans le département des Deux-sèvres. A la veille du 14 juillet, sur les communes d’Arçais, de Mauzé-sur-le-Mignon et de Chef-Boutonne, ce sont en effet plusieurs systèmes d’irrigation et une méga-bassine destinés à l’agro-industrie céréalière qui avaient cette fois été sabotées à la hache, provoquant des dizaines de milliers d’euros de dégâts. Aujourd’hui, alors qu’on en est à peine au début des conséquences du réchauffement climatique qui ne vont qu’en s’aggravant (et dont les pénuries en eau ne sont qu’un exemple), rendre visite aux riches et aux industries qui dévastent chaque jour davantage la planète, que ce soit pour leur couper le jus, la flotte, les données ou la chique, est certainement une idée d’avenir. En tout cas pour qui ne souhaite attendre rien ni personne, et ne résigne pas à la catastrophe en cours…
Lu sur sansnom.noblogs.org [2 août 2022]
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