Lycée Blanquer : les élèves vont mal



Les élèves de lycée sont en souffrance psychologique. La situation se dégrade depuis deux ou trois ans sous l’effet conjugué de la réforme du bac, de l’introduction de Parcoursup... et de l’affichage Pronote.

Parcoursup introduit la sélection dans toutes les filières, y compris celles qui auparavant prenaient tout le monde, comme la Fac, avec pour conséquence que dès le début de leur année de Première les élèves sont poussés à agir en vue de cette sélection et du fameux « dossier » qu’ils pourront présenter sur Parcoursup.

De ce fait dès le premier jour de leur année de Première, les élèves ont le sentiment de passer le bac. Impression renforcée par un fait objectif, une part toujours plus grande du bac passant en contrôle continu (= chaque note compte pour le bac).

La note n’a donc plus du tout le même sens qu’avant, puisqu’il ne s’agit pas d’évaluer peu à peu son travail et ses progrès au cours de l’année, pour se situer en vue d’une épreuve terminale, mais de constituer à terme... ce qui ressemble fortement à un dossier d’embauche. Toute demande doit d’ailleurs être accompagnée d’une lettre de motivation. Avec forte pression : « Attention, y aura pas de place pour tout le monde ! »

Si l’on ajoute à cela la pression des parents, de plus en plus inquiets, et la surveillance permanente des élèves y compris par eux-mêmes par l’intermédiaire du logiciel Pronote qui inscrit chaque nouvelle note en direct, rendant visible à la seconde, pour l’élève et ses parents : la note de l’élève, la note moyenne de la classe, la note inférieure de la classe et la note supérieure... on obtient un système complètement pathogène. Les élèves moulinent dans le stress quand ce n’est pas dans la totale panique, pour certains dès le premier jour. Et parfois craquent. Symptôme de ce mal-être, on compte cette année un très grand nombre d’élèves en suivi psy, pour crises d’angoisse. Il y a aussi de plus en plus de cas de phobies scolaires et une pathologisation de tous les blocages (avec identification de « dys » multiples, accompagnés de tiers-temps et aménagements de toutes sortes), mais surtout, des élèves qui vont mal. Voire très mal.

En effet ce sentiment d’« évaluation permanente » et struggle for life en contexte de pénurie est d’autant plus angoissant et déstabilisant que Parcoursup ajoute des items concernant non pas seulement leurs résultats mais aussi leur « profil » (engagement, autonomie, dynamisme, esprit citoyen, etc.). Des savoirs aux compétences et des compétences aux savoirs-être... les logiques du management et du développement personnel sont directement importées au lycée. Chaque élève est amené.e à se considérer comme responsable de son « parcours », maintenant individualisé par le choix de son bouquet de spécialités. Ce qui l’amène à ne plus raisonner qu’en terme de « stratégies ». En auto-entrepreneur de sa carrière (scolaire), il s’agit de gérer son profil : faire les bons choix, mettre en avant ses compétences, et prendre soin des traces laissées (colles, mauvaises notes, élection de délégués, participation à un projet...) car elles constitueront son « dossier ».

L’école n’est plus un lieu de protection mais de vulnérabilité. D’autant plus qu’au lycée la réforme a fait éclater la classe à l’ancienne avec un même groupe de potes, au profit d’une recomposition qui réorganise à chaque heure les groupes en fonction du « parcours », ces fameuses spécialités choisies par l’élève.

Bref, l’école va mal, les élèves trinquent. Les profs aussi, en première ligne pour recevoir tout ce mal-être qui se traduit parfois par une grande agressivité. Les enseignants sont de plus en plus souvent sommés de s’expliquer, invités par l’élève à changer le coefficient de la note, quand ce n’est pas lui faire refaire un devoir, augmenter sa note, lui donner un exercice supplémentaire et personnalisé, voire à lui taper le cours où il a été absent, pour le lui envoyer à la maison.

Pour faire face à ce désarroi et aux élèves en grande souffrance, pas de psy. Ils sont devenus « co-psys », c’est-à-dire conseillers d’orientation. Il y a bien un infirmier, parfois... mais pas toujours. Ce sont donc les CPE qui, de fait, assument les différents rôles d’assistant social, psy, etc, tandis que des collègues de bonne volonté, profs ou documentalistes, mettent sur pied des heures de relaxation, destinées aux élèves les plus anxieux. On en est là.

Blanquer avait promis l’école de la confiance. C’est plutôt celle de l’angoisse.

Sophie.