Alors j’ai voté



Les images d’un Bardella invitent à voter l’extrême droite comme on pourrait liker une de ses vidéos consensuelles et vides de perspectives politiques concrètes du Rassemblement national. Elles désignent des méchants sans trahir que leurs boucs émissaires sont potentiellement ceux qui s’identifient au discours des bourreaux et voteront pour eux. Je vois un spectacle sur le dysfonctionnement de l’état, hélas ce n’est pas qu’un mauvais scénario. Depuis les élections européennes, dans les rues comme dans les institutions, ceux qui se retenaient de répandre leur haine et la domination passent à l’acte se sentant victorieux alors même que les résultats pour la France ne sont pas encore prononcés. Moi, je dors mal et j’ai peur d’aborder ce sujet avec mes proches et amis, surtout après toutes ces années d’abstention.

Le philosophe Hobbes imagine dans Leviathan (1651) un état qui monopolise la violence d’un peuple et serait seul légitime à exercer cette violence. La critique de l’état vise cette légitimité puisque la rationalité de l’état est aussi un pouvoir exercé sur vies des sujets et il maintient les rapports de domination. Les élections permettent d’accorder de la légitimité à des personnes tierces à exercer ce pouvoir. Depuis la Révolution de 1848, le droit de vote n’est plus payant et cette gratuité a ouvert aux ouvriers la possibilité de participer aux élections. L’abstention au vote de la part des ouvriers était expliquée par la classe bourgeoise comme une incapacité à s’organiser politiquement ou encore à s’auto-organiser. Parce que l’enjeu des débats était de remettre en question l’autogestion, la légitimité des associations et des syndicats, de la possibilité de travailler et vivre pour soi et non pas pour enrichir un tiers. Joseph Proudhon a pris part dans ces débats et dans son livre posthume il parle De la capacité politique des classes ouvrières (1865) à s’organiser selon leurs propres règles du jeu et leurs besoins, ce qui expliquerait le refus de participer aux élections. Au fil des années, l’accès aux vote était ouvert aux femmes, aux personnes noires. La trame de la critique du vote est restée identique, parce que l’accès aux élections n’a pas remis en question l’hégémonie de la classe bourgeoise, l’hégémonie patriarcale ou l’hégémonie des blancs. Dans ce sens, les abstentions ne sont pas une posture apolitique, mais un acte de refus d’un jeux où les règles maintiennent des rapports asymétriques entre les classes. Nous sommes dans les dynamiques de critique du pouvoir. Des disputes entre les socialistes réformistes, qui pensent à améliorer des conditions des vies des classes dominées sans remettre en question les rapports de pouvoirs entre les classes et les socialistes révolutionnaires qui remettent en question les rapports de domination qui seront la source de la misère.

L’adhésion à la légitimité de l’état qui monopolise la violence, c’est participer à son bon fonctionnement sans le remettre en cause. Elle permet de prétendre que les rapports de pouvoir, des inégalités sociales et ses conséquences sont de l’ordre naturel et éternel. Je me refuse de croire que ce n’est pas une position aliénante et je pense à Paola Tabet qui écrit que, paradoxalement, les personnes en situation d’aliénation ne sont pas aidées mais méprisées dans une société. Le programme de l’extrême droite est celui de permettre à un groupe d’accaparer la légitimité de la violence pour asseoir son pouvoir et renforcer des rapports de domination. Si elle arrive au pouvoir, elle ne le lâchera pas, parce que les outils de gestion administrative et législative de l’état moderne seront reconfigurés pour maintenir ce pouvoir.

Si j’ai voté LFI aux élections européennes, ce n’est pas pour rejoindre le camp de la forteresse européenne ou exprimer mon appartenance à une identité européenne. Je continue à interroger la légitimité de l’état ou encore celle de l’union européenne. Si l’extrême droite prend le pouvoir au niveau européen, à aucun moment cette forteresse ne s’écroulera, ni aucun pays ne sortira de l’union. Par contre, sur les pans de la politique capitaliste et extractiviste, les violences qu’engendrera l’extrême droite seront encore plus conséquentes que celle du XXe siècle. Parce que les technologies de gestion et les moyens industriels ont rendu possible des génocides et des violences extrêmes. Parce qu’il y aura toujours Frontex, il y aura toujours le nucléaire et les nanotechnologies, il y aura toujours le libre échange, mais avec beaucoup plus de moyens et une autorisation à tuer. Alors il est urgent de faire tout pour que les nouvelles technologies et le management ne se retrouve pas entre les mains de l’extrême droite et des néo-nazis.


Autres articles de la chronique : Carnets de notes