Un état d’urgence universel ?



L’état d’urgence est devenu permanent en octobre novembre 2017, quand, deux ans après les attentats, ses principales mesures ont été inscrites dans le droit commun avec la loi antiterroriste adoptée par le Parlement. Douzième loi du genre adoptée depuis 1986, la dernière mouture aurait pu se résumer en un slogan : « Tout le pouvoir aux préfets ! »

Sur la base des « notes blanches » fournies par les services de renseignement, eux-mêmes totalement débridés depuis la loi relative au renseignement de juin 2015, les préfets peuvent en effet décider de perquisitions administratives, d’assignations à résidence, de la mise en place de « périmètres de protection » (où tout est permis pour la police) et de la fermeture de lieux de culte. Dès la mise en place de l’état d’urgence, en novembre 2015, le détournement des mesures administratives, prétendument antiterroristes mais appliquées à militant∙es écologistes, a été largement dénoncé – tant par Amnesty International que par le Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU.

Mais finalement, il semble que cela ne suffise pas. Avec l’irruption des Gilets Jaunes, le gouvernement est perdu, il ne parvient pas à faire retomber la mobilisation avec quelques mesurettes et un pseudo-débat. Après la lutte antiterroriste, il passe donc à la lutte anticasseurs. De l’état d’urgence permanent, il faut passer à l’état d’urgence universel.

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Tout d’abord en traitant les manifestant∙es comme des délinquant∙es, la méthode Benalla-Castaner. Outre les CRS et gendarmes mobiles, la BAC (brigade anti-criminalité, « spécialisée dans la petite et la moyenne délinquance ») est systématiquement envoyée contre les manifs, équipée de LBD 40 et de GLI F4, avec manifestement carte blanche pour tirer dans le tas. Le résultat en est terrifiant : des centaines d’arrestations, des centaines de blessé∙es, dont des dizaines de personnes mutilées. En passant, on se demande ce que Le Pen aurait fait de pire. La commissaire européenne aux Droits de l’Homme, Dunja Mijatović, s’est inquiétée « du grand nombre de personnes blessées, certaines très gravement, dans les manifestations ou en marge de celles-ci, notamment par des projectiles d’armes dites de défense intermédiaire telles que le lanceur de balles de défense ». Et le traitement judiciaire des manifestant∙es est tel que des dizaines d’avocats en ont dénoncé les dérives. L’indépendance de la justice, tant vantée dans les cours d’éducation civique, semble facilement s’évanouir sous la pression des événements.

Alors, tant qu’à donner tout le pouvoir aux préfets, autant y aller à fond. En 1893 et 1894, nos aïeux ont connu les lois scélérates promulguées pour contrer les activités anarchistes. C’est maintenant la loi « anticasseurs » qui arrive à point nommé, proposée par des sénateurs LR en octobre 2018 et adoptée par l’Assemblée nationale le 5 février, avant de retourner au Sénat le 12 mars prochain. Au menu : l’interdiction de se couvrir le visage, la possibilité de considérer n’importe quel objet comme une arme par destination, l’interdiction administrative de manifester pour les prétendus « casseurs ». L’idée est simplement de traiter les manifestant∙es comme des hooligans. Et la liberté d’expression dans tout cela ? Circulez, il n’y a rien à voir. Comme l’ont dénoncé de nombreux∙es avocat∙es et défenseur∙es des libertés publiques, les dispositions existent déjà pour s’en prendre aux auteur∙es d’actes délictueux. La nouvelle loi ne fait donc que s’en prendre au droit de manifester, ce qui permettra d’immobiliser ou de poursuivre en justice celles et ceux qui ne plairont pas au préfet, quand la dissuasion à coups de matraques et de LBD n’aura pas suffi.

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Le projet de loi a bien provoqué un peu de remous à l’Assemblée, avec même quelques député∙es de la majorité LREM qui ont proposé des amendements, non retenus, ou qui ont eu l’audace de s’abstenir… Et surtout cette sortie étonnante du député centriste Charles de Courson : « On se croit revenu sous le régime de Vichy ! » C’est vrai que l’ambiance politique pue, entre les droits accrus accordés aux services de renseignement, les mesures de l’état d’urgence entrées dans la loi, la loi Asile et Immigration, qui s’en prend aux migrant∙es… Macron et ses amis, c’est l’extrême droite en marche. Décidément, on se demande vraiment ce que Le Pen aurait fait de pire.

Léo P.

Article paru dans RésisteR ! #60 le 19 février 2019.