Ukraine : Entre deux feux



Cet article regroupe une interview et un texte de deux anarchistes d’Ukraine à propos de la guerre. Il a été initialement publié par CrimethInc. le 3 février dernier, c’est-à-dire trois semaines avant le début de l’offensive russe. Quand bien même l’éventualité de la guerre – qui était alors encore incertaine – s’est concrétisée depuis, les points de vue et les analyses proposées dans cet article n’en restent pas moins pertinentes.

Dans l’espoir de fournir un éclairage crucial sur les tensions actuelles entre la Russie, l’Ukraine, les États-Unis et les autres membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), nous vous proposons la transcription d’une excellente interview d’un anarchiste ukrainien, suivie d’une autre contribution venant d’un·e autre anarchiste ukrainien·ne de Lugansk qui habite maintenant à Kiev. Nous attendons un autre texte d’un groupe d’anarchistes ukrainien·nes, que nous espérons publier rapidement [1].

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Comment comprendre le conflit qui se joue autour des troupes russes actuellement massées aux frontières ukrainiennes ? S’agit-il simplement d’une performance des deux parties, qui viseraient à maintenir et renforcer leur influence et à déstabiliser les forces adverses ?

Malheureusement, dans le contexte mondial instable d’aujourd’hui, même les acteurs géopolitiques les plus expérimentés sont susceptibles de s’embarquer dans des affrontements inextricables alors qu’ils ne prévoyaient que d’effectuer quelques passes d’armes pour montrer les crocs. Il ne s’agit peut-être que d’une politique de la corde raide, mais elle pourrait tout de même mener à la guerre. Le mois dernier, des troupes russes ont été déployées au Kazakhstan et en Biélorussie, ce qui a confirmé le rôle de Poutine en tant que garant des dictatures et a montré l’étendue de ses ambitions, ainsi que l’équilibre précaire du pouvoir dans toute la région. Les États-Unis déploient désormais également des troupes en Europe de l’Est, ce qui fait monter la tension autour de ces ambitions impériales rivales. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a commencé l’année 2021 en menant l’offensive contre les alliés de Poutine en Ukraine, a récemment demandé à l’administration Biden de modérer ses propos alarmistes ; cela ne signifie pas que la menace de guerre n’est pas réelle, mais plutôt que Zelensky doit continuer à se préoccuper de l’économie ukrainienne, que la guerre se profile dans les semaines, les mois ou les années à venir.

Pour les anarchistes, la perspective d’une invasion russe soulève des questions épineuses. Comment s’opposer aux agressions militaires de la Russie sans jouer le jeu des États-Unis et d’autres gouvernements ? Comment continuer de s’opposer aux capitalistes et aux fascistes ukrainiens sans que cela n’aide le gouvernement russe à élaborer un récit justifiant son intervention, qu’elle soit directe ou indirecte ? Comment faire de la vie et de la liberté des ukrainien·nes et des habitant·es des pays voisins une priorité ?

Et si la guerre n’était pas le seul danger ici ? Comment éviter que nos mouvements ne se réduisent à des relais des forces étatiques ni ne se retrouvent hors de propos dans cette période d’escalade du conflit ? Comment continuer de s’organiser contre toutes les formes d’oppressions même en pleine guerre, sans adopter la même logique que l’armée ?


Ce n’est pas la première fois que les événements en Ukraine soulèvent des questions difficiles. En 2014, pendant l’occupation de la place Maïdan [2] qui a finalement renversé le gouvernement de Viktor Ianoukovitch, des nationalistes et des fascistes se sont renforcés au sein du mouvement. Comme l’a écrit un·e témoin :

“Le mouvement de gauche et anarchiste ukrainien dans son ensemble s’est retrouvé entre deux feux. Si la révolte de la place Maïdan l’emporte […] on peut déjà prédire le renforcement et l’émergence de nouvelles organisations d’extrême-droite axées sur l’utilisation de la violence et de la terreur contre les opposants politiques. Si Ianoukovitch gagne, alors une vague de répression des plus sévères frappera indistinctement toutes celles et ceux qui sont déloyaux envers les autorités.”

— Lviv, 19-21 février 2014

Cet entretien de l’époque décrit la situation. Il est important de souligner que rien n’était inévitable : un mouvement anarchiste plus dynamique aurait pu aboutir à des résultats différents à Kiev, comme ce fut le cas à Kharkiv.

À l’époque, nous avions décrit l’ascension des fascistes dans les manifestations de Maïdan comme “une contre-attaque réactionnaire dans l’espace des mouvements sociaux” :

C’est peut-être révélateur des pires choses à venir – nous pouvons imaginer un futur de fascismes rivaux, dans lequel la possibilité d’une lutte pour une véritable libération devient complètement invisible.

Aujourd’hui, nous avons avancé de huit ans vers ce futur. Les tragédies en Ukraine – de 2014 à aujourd’hui, en passant par la guerre civile soutenue par la Russie dans les régions de Donetsk et de Luhansk – montrent les conséquences catastrophiques de la faiblesse des mouvements anti-autoritaires en Russie, en Ukraine et aux États-Unis.

https://twitter.com/PeterGelderloos/status/1486440333114281988

https://twitter.com/PeterGelderloos/status/1486440722752540674

Dans ce contexte, nous voyons des acteurs étatiques des deux côtés du conflit mobiliser les discours de l’antifascisme et de l’anti-impérialisme pour recruter des volontaires et délégitimer leurs adversaires. Les fascistes et ceux qui se décrivent comme des antifascistes ont combattu des deux côtés du conflit Russie/Ukraine depuis des années déjà, tout comme les partisans de chaque camp ont décrit l’autre comme impérialiste. Alors que nous nous avançons dans le 21ème siècle, il y aura probablement de plus en plus de luttes armées cherchant à recruter des anarchistes et d’autres antifascistes et anti-impérialistes. Nous ne devons pas nous rendre inutiles en nous tenant à l’écart de toutes les confrontations ni laisser un sentiment d’urgence nous pousser à prendre des décisions mauvaises et coûteuses. De même, si nous nous dispensons de prendre position au motif que la situation est confuse et qu’il y a des gens pas très nets des deux côtés, nous partagerons la responsabilité des massacres qui s’ensuivent.

Avant de présenter les perspectives de l’Ukraine, nous allons passer en revue certaines des autres propositions concernant la manière dont les anarchistes pourraient s’engager.

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Des temps plus simples : des anarchistes à Kiev le 1er mai 2013.

Lire la suite de l’article sur CrimethInc. :

Ukraine: Entre deux feux
Des anarchistes de la région à propos de la menace de guerre imminente

Dans l’espoir de fournir un éclairage crucial sur les tensions actuelles entre la Russie, l’Ukraine, les États-Unis et les autres membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), nous vous proposons la transcription d’une excellente interview d’un anarchiste ukrainien, suivie d’une autre contribution venant d’un·e autre anarchiste ukrainien·ne de Lugansk qui habite maintenant à Kiev. Nous attendons un autre texte d’un groupe d’anarchistes ukrainien·nes, que nous espérons publier rapidement.
À lire sur CrimethInc.

Sur le même sujet et toujours sur CrimethInc., on pourra lire aussi :

Les anarchistes russes sur l’invasion de l’Ukraine
Mise à jour et analyse

Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie se poursuit,les anarchistes continuent de se mobiliser sur tout le territoire russe, aux côtés de milliers d’autres personnes, contre la guerre. Nous publions ici les communiqués de deux organisations anarchistes russes de longue date, qui proposent une analyse de la situation en Russie et de la façon dont l’invasion de l’Ukraine pourrait la modifier.
À lire sur CrimethInc.

Notes

[1Note de Manif’Est : Cet article a depuis été publié sur CrimethInc. et relayé sur Manif’Est sous le titre « Anarchistes et guerre : Perspectives anti-autoritaires en Ukraine ».

[2Maïdan Nezalezhnosti (“La place de l’indépendance”) est la place centrale de Kiev, la capitale de l’Ukraine. Elle a été le théâtre de manifestations massives en 2004, lors de la “révolution orange”, et de nouveau en 2013 et 2014 lors des événements qui ont conduit à la révolution ukrainienne de 2014.