Quand l’OCDE programme la mort de l’école



C’était sympa le Cahier 13 de l’OCDE ? La suite, c’est maintenant.

L’OCDE s’est penchée comme elle le fait à intervalles réguliers sur les évolutions de l’éducation scolaire qu’elle envisage pour les années à venir. Une nouvelle étude, passée inaperçue ou presque auprès du grand public, propose quatre scénarios bien différents : du maintien de l’école existante avec toutefois l’omniprésence du numérique, à la disparition pure et simple de l’institution telle qu’on la connaît. C’est l’enseignement à distance qui prendrait alors plus ou moins de place et d’importance selon les cas.

Quand on connaît la puissance de cette organisation et sa capacité à souffler à l’oreille de nos dirigeant·e·s, cette nouvelle publication conforte nos inquiétudes quant à la volonté des libéraux de privatiser l’éducation scolaire, et notre devoir d’alerter sur ces desiderata qui font écho aux annonces de Blanquer, lui qui appelle à un « nouveau métier d’enseignant·e ». Celles et ceux qui encadrent les passations d’évaluation des élèves tous les ans en France imagineront assez bien ce que pourraient devenir leurs nouvelles missions d’accompagnement de ces appareils d’« e-learning »…

D’un semblant de maintien de l’École actuelle à sa mise à mort

Le premier scénario est celui du maintien du système scolaire, mais transformé. Des outils numériques d’évaluation donneraient instantanément un retour sur les compétences des élèves. Le corps « enseignant » se composerait alors de quelques professeur·e·s dit·e·s « qualifié·e·s » qui créeraient des contenus éducatifs, ET de divers employé·e·s (animateurs/trices, surveillant·e·s, voire des robots) chargé·e·s d’encadrer les élèves.
Le second scénario imagine un système éducatif où de nouveaux « acteurs informels » interagiraient avec l’école. On aurait ainsi un méli-mélo(drame) d’enseignement à domicile, de tutorat, d’enseignement en ligne et d’enseignement communautaire local. Des « entreprises éducatives » pourraient se développer avec des services en ligne.
Le troisième scénario imagine un éclatement du système éducatif au profit d’acteurs locaux et donc une totale hétérogénéité de l’offre éducative.
Enfin un dernier (et fatal) scénario envisage la mort de l’école et la fin de la différence entre éducation formelle et informelle. La digitalisation permettrait d’apprendre partout et tout le temps. Il n’y aurait plus de professeur·e·s, mais des entreprises vendant des produits éducatifs.

Oui, ça fait froid dans le dos ! En même temps, ce n’est pas une surprise : on connaît le projet des libéraux de récupérer toute cette manne que représente l’éducation scolaire pour engranger des profits et l’orienter vers une partition de la population entre des citoyen·ne·s utiles (travailleurs/euses sans statuts, consommateurs/trices), et l’élite.

En 2001 déjà

Ce n’est pas le premier rapport que l’OCDE fait sur l’éducation. En 2001, il y a 20 ans déjà, elle proposait six scénarios pour l’Éducation de demain, avec des
propositions similaires : c’est-à-dire démanteler les institutions et systèmes éducatifs au profit de nouveaux acteurs privés (évidemment), des « professionnels de l’enseignement » adossés à des « réseaux de formation » reposant en quasi-totalité sur l’utilisation des nouvelles technologies.
Aujourd’hui, avec le développement des technologies, l’apprentissage profond (deep-learning), l’intelligence artificielle, le développement de la 5G partout dans le monde pour toucher le plus de personnes possible (y compris aux confins des campagnes et des déserts), ces scénarios qui semblaient fantaisistes et futuristes deviennent crédibles. La crise sanitaire avec ses confinements successifs et cette école à la maison (la « continuité pédagogique ») ont fait évoluer les mentalités. Bien sûr, pour de nombreuses personnes, cet enseignement à distance a démontré ses limites et augmenté les inégalités face à l’éducation. Mais demain ?
Les organismes privés d’accompagnement se multiplient, les acteurs du privé et les collectivités locales sont de plus en plus nombreux à intervenir dans les établissements scolaires (logiciels, évaluations en ligne, applications de téléphone, externalisation de services informatiques et de restauration, publicité pour des officines privées...) et expliquent à des parents de plus en plus inquiets que cela est « incontournable pour la réussite de leurs enfants ».

Le Panel PS21

Dernier exemple de formatage en date, cette enquête statistique qui va porter sur 35 000 enfants à partir de trois ans avec comme items : "Répond mal à l’adulte", "Est agité", "Range n’importe comment", "Coupe la parole". Ces mentions sont extraites d’un questionnaire destiné aux personnels des petites sections de maternelle. Mais quel objectif poursuit donc le ministère avec ces fiches d’observation aux relents sarkozistes ? Ce flicage dès le plus jeune âge doit nous faire réagir collectivement !
Nous convenons qu’il serait difficile de nous passer de l’informatique aujourd’hui, mais ceci ne doit pas nous dispenser d’une réflexion sur l’utilisation du numérique avec les élèves et dans nos métiers. Les conclusions des études sont indubitables : l’excès d’exposition aux écrans nuit à la santé et à certaines fonctions cérébrales. Le glissement vers le tout numérique est déjà bien engagé, sans que nous puissions en mesurer facilement les conséquences (puisqu’« à distance »), c’est un phénomène qui s’accélère et s’impose au détriment de nos libertés.
La crise sanitaire en a fait une démonstration spectaculaire : l’enseignement à distance ne fonctionne pas (au mieux il est lacunaire) et l’OCDE prend ses désirs pour des réalités. Elle a également mis en lumière que les élèves, les étudiant·e·s, les personnels ont besoin d’interactions entre personnes vivantes. Les élèves et les personnels ont besoin de vie en société : partages, échanges, entraide, convivialité, travail commun entre groupes, entre classes, entre adultes ; de projets collectifs à élaborer et réaliser, d’expérimentations, d’ouvertures sur le monde et sur l’autre…

À SUD éducation, nous appelons à combattre l’idéologie libérale de l’enfermement des jeunes et des adultes chacun chez soi. Notre projet d’École de demain dans une autre société va à l’inverse des scénarios de l’OCDE que nous dénonçons comme aussi nuisibles et délétères que l’instauration des évaluations par compétences qu’elle a imposées.

Pour autant ce démantèlement de l’éducation scolaire est déjà engagé. Les suppressions de postes sous Sarkozy et sous Macron, le socle commun de connaissances, l’effroyable Parcoursup, l’évaluationnite, la rémunération au mérite, l’alourdissement de la charge de travail pour les personnels, la réduction constante de la liberté pédagogique, le refus de créer un statut pérenne pour les AESH et les AED, la volonté de créer un statut hiérarchique de directeur/trice d’école, le partenariat du Ministère de l’Éducation Nationale signé par Najat Vallaud-Belkacem avec le géant Microsoft, la volonté des Collectivités territoriales d’informatiser frénétiquement l’école aux dépens de l’humain et d’externaliser des services, la répression cinglante envers les personnels qui se rebiffent, sont autant de symptômes de la casse du statut de fonctionnaire et de la transformation progressive de l’éducation scolaire en un réseau
clientéliste et individualisé.

Le combat est rude, mais nous sommes vaillant·e·s et nous vaincrons ! Ne lâchons rien ! C’est tou·te·s ensemble que nous transformerons notre école en un lieu d’enseignement épanouissant pour tou·te·s.

https://read.oecd-ilibrary.org/educ...
https://www.oecd.org/fr/dev/1919068.pdf
http://sudedulor.lautre.net/spip/sp...

Article paru dans SUD éducation Lorraine Info n°45, octobre 2021