GrosGnon n’est pas moral



Le dernier coup de gueule de GrosGnon, où il est question de PMA, de prostitution et d’autres pratiques évaluées à l’aune de la morale. L’avis de GrosGnon n’est pas partagé par tous mais il le partage quand même.

Le projet de loi bioéthique qui devrait être examiné fin septembre va ouvrir la PMA à toutes les femmes. Soit, mais cela me gêne… « Quoi ?, je vous entends déjà hurler cher.es lectrice.eurs, quoi ?, RésisteR ! ouvre ses colonnes à un sale réac, proche de la Manif pour tous ! Sens commun a fait son entrée au comité de rédaction ! C’est vraiment la fin de tout ! » Attendez ! Je ne dis pas que le fait que la PMA soit ouverte à toutes les femmes me gêne, je dis que je ne vois pas en quoi cela relève de la bioéthique. Ce n’est pas là, dans l’égalité de toutes à y accéder, qu’est le problème éthique, si problème éthique, il y a. En soi, si l’on considère que la PMA est une technique médicale « moralement » acceptable, ce que fait la loi de bioéthique de 2004, il n’y a aucune raison morale, et surtout « bioéthique », qu’elle soit limitée à une catégorie de femmes, voire qu’elle soit, dans le futur, applicable aux hommes, quand le rêve d’Élisabeth Badinter, le fait qu’un homme puisse porter un enfant, sera réalisable. L’ouverture du mariage à tous les couples, n’est pas, que je sache, un problème « bioéthique », donc la PMA pour toutes non plus.

En revanche, que la PMA en tant que telle, soit moralement discutable, je le conçois aisément et j’avoue avoir des doutes sur ce désir d’enfant qui soit la chair de la chair et qui soit du « sang » du ou des parents. Que diable ! Si l’on ne peut, pour des raisons X ou Y, avoir d’enfants, il y a assez d’orphelins de par le monde pour combler le « désir d’enfant ». Car ce qui fait d’un enfant son enfant sont-ce les gènes ou l’éducation qu’on lui donne ?

Dans ce sens, la fin du secret sur les filiations issues de donneurs, l’« accès aux origines », selon la formule consacrée, est tout aussi problématique. Et, en fin de compte, j’y vois l’apparition d’une sorte de « droit du sang », qui pourrait bien déboucher sur le « droit du sang » au sens classique. Le désir de filiation génétique ne serait-il pas qu’une forme plus locale du nationalisme, du patriotisme, devrais-je écrire ? Entre personnes du même sang, on fait partie d’une même famille, alors que le « sang impur » de l’autre, de l’étranger, devrait être banni…

Et l’adoption dans tout ça ? Théoriquement elle est ouverte à tous les couples hétéro- comme homo-sexuels. Mais, en Meurthe-et-Moselle, cela ne sembla pas être le cas…

Fin septembre 2018, L’Est républicain expliquait que Mathieu Klein avait invité le président du Conseil de famille à mettre fin à son mandat, celui-ci co-exerce avec le préfet l’autorité parentale sur les pupilles de l’État, c’est-à-dire les orphelins, en attente d’adoption. Le Conseil de famille doit, de ce fait, se prononcer, lors des adoptions, sur le choix des adoptants. Et c’est là où le bât blesse. En effet, le président du Conseil de famille de Meurthe-et-Moselle a déclaré, de manière répétée, qu’« On n’a rien contre les couples de même sexe, mais tant qu’on aura des couples jeunes, stables, avec un père et une mère, on les privilégie ». Cette déclaration avait entraîné un dépôt de plainte pour discrimination, dès avril 2018, de la part de l’association des familles homoparentales. En Seine-Maritime, le même genre de discrimination à l’adoption a été relevé par cette association…

Si la contamination du débat politique par la morale, ou plutôt par le moralisme, est très souvent le fait de la droite extrême ou de l’extrême droite, certains dans la gauche radicale tombent parfois dans ce défaut. Ce qui, soit dit en passant, est stratégiquement maladroit, car, d’une part, les réacs sont bien plus « aptes » à proposer un corpus cohérent de bonne vieille morale, d’autre part, il faudrait plutôt s’atteler à montrer que la moraline, comme l’appelait Nietzsche, n’a rien à faire en politique. Un exemple.

Nombre de beaux esprits ont salué la loi qui pénalisait les clien.tes des prostitué.es. Or cette loi est typiquement, purement moraliste. Elle se veut, dans l’esprit de nombre de ses soutiens, un pas vers l’« abolition » de la prostitution et entend « responsabiliser les clients », c’est-à-dire en français contemporain traduit de la novlangue « leur faire la morale en les punissant ». Imaginez que pour lutter contre le trafic de drogue, on pénalise les clients et non les dealers ? Qu’on me comprenne, je ne mets pas sur un pied d’égalité les dealers et les prostitué.es. Mais je me pose la question : est-ce la prostitution en soi qui est « moralement » gênante ? Certainement pas pour moi. « Quoi ? Des femmes – comme s’il n’y avait que les prostituées et pas de prostitués – qui vendent leur corps pour gagner leur vie, c’est sale ! » Et les salarié.es de France Telecom, ce n’est pas seulement leur corps qu’elles ont vendu pour gagner leur vie, mais aussi leur âme. Alors, si la prostitution doit être abolie, pour des raisons morales, abolissons aussi le travail salarié ! Bien sûr, la prostitution n’est pas toujours choisie, elle donne lieu très souvent à des pratiques proches de l’esclavage et de la traite d’êtres humains. Oui, mais ça, ça a un nom, qui n’est pas prostitution, mais proxénétisme. Qu’on se batte pour abolir le proxénétisme, parce que c’est une activité moralement inacceptable, soit – et là, il s’agit de vraie morale, pas de succédané. Mais que l’on fasse porter le poids du manque d’action contre le proxénétisme aux clients lambda des prostitué.es, comme si c’étaient eux, et eux seuls, la source du problème, comme si c’étaient eux, et eux seuls, qui étaient dans l’immoralité, c’est vraiment minable. Les bourgeois du xixe considéraient, eux aussi, la prostitution comme immorale, mais ils avaient des bonnes…

En fait, cette dérive moralisatrice, peut-être liée à la perte des grands récits politiques, est de plus en plus présente. Sous sa forme la plus radicale, c’est le rêve de retrouver le paradis terrestre. Les vegans, par exemple – que mes amis vegans se bouchent les oreilles et s’abstiennent de lire le reste de l’article –, les vegans, au moins certains d’entre eux, qui ont oublié les origines anarchistes du mouvement, aimeraient, en fin de compte, que la nature soit « restée » dans son état édénique, où le lion et la gazelle paissaient côte à côte les vertes prairies « originelles ». Raté ! La nature est « mal » faite ; elle est mauvaise, comme le lion qui bouffe les gazelles. Et nous ne pouvons rien y faire… Et l’homme est omnivore. On pourrait dire qu’il est, de ce point de vue comme sur bien d’autres, opportuniste : il bouffe ce qui lui tombe sous la main. Vouloir, pour des raisons « morales », lui interdire de bouffer des animaux, voire d’exploiter lesdits animaux – et pour ne pas lui interdire d’exploiter la Terre Mère ? – n’a pas de sens. En revanche, que pour des raisons écologiques, économiques, etc., c’est-à-dire pour des raisons réellement politiques, on renonce, au moins partiellement, à l’élevage – en particulier industriel – et à ses produits, j’y souscris pleinement.

« La vraie morale se moque de la morale », disait Pascal. Faisons en sorte que « la vraie politique se moque du moralisme ».

Article paru dans RésisteR ! #63 le 5 juillet 2019.