GrosGnon fait sa rentrée



J’aime pas la rentrée.
D’abord, il faut retourner bosser.
Ensuite, tout le monde vous demande si vos vacances ont été bonnes. Et j’aime pas les vacances, et encore moins en parler. C’est sûr, j’aime mieux rien foutre que bosser, mais bon…

« Le foot, ça vaut peau de balle. »

Les vacances, quand les autres vacanciers viennent polluer vos paysages et embouteiller vos routes, c’est chiant. C’est d’ailleurs pour ça que je pars là où personne veut mettre les pieds.
Mais surtout, cette année, les vacances ont vraiment mal commencé : l’équipe de France a gagné le Mondial de foot, j’aurais bien aimé qu’ils perdent dès le premier tour, battus par le Zimbabwe, la Corée du Nord ou l’Angola.
Déjà aller jouer au pays du Tsar de toutes les Russies et du grand goulag généralisé, ça n’a franchement rien de bien glorieux.
Puis voir Micron 1er exulter, d’une joie surjouée, à la manière d’un quelconque supporter le rend encore plus vulgaire que Nicolas Bling-Bling.
Subir l’outrage visuel de drapeaux bleu-blanc-rouge pendouillant des balcons, accrochés aux croisées ou aux antennes des bagnoles me donne un haut-le-cœur.
Entendre « Allez la France ! » résonne dans mon crâne comme un sinistre « Mort aux Boches, aux Polacks, aux Espingouins… ! »
Bref, le chauvinisme sportif me débecte, plus que le sport lui-même et autant que le chauvinisme militaire. D’ailleurs, les stades, version moderne de l’arène aux gladiateurs, ne servent qu’à exciter les foules, à préparer les masses à l’écrasement de l’ennemi, à moins qu’ils ne soient utilisés, comme ce fut le cas, pour parquer les futurs déportés ou exécutés. Rasons les stades !
De bonnes âmes de me dire que tout de même, le foot c’est beau, que c’est un facteur d’intégration, que c’est vraiment magnifique que tout un pays soit derrière une équipe si riche de sa diversité. Pour l’intégration, vous repasserez, si pour un gamin des banlieues, l’ascenseur social se limite à devenir ou footballeur, ou rappeur, ou dealer, c’est plutôt raté. (Malgré tout, Parcoursup semble avoir été programmé ainsi, puisque bon nombre des recalés du système d’orientation post-bac viennent justement de quartiers et de lycées de banlieues. Le ministère aurait dû créer, en plus un Parcourstup, pour les recalés, apparemment ils n’y ont pas pensé. Mais, je m’égare). On nous rejoue régulièrement, depuis 1998, encore et encore, le grand mythe de cette magnifique équipe black-blanc-beur, image de l’intégration et de la réussite des populations d’origine immigrée. Comme le faisait remarquer Lilian Thuram, c’est un peu plus complexe :

« Cette victoire est un cadeau extraordinaire fait à tous ces enfants qui ont du mal à se considérer comme Français. Avec elle, ils pourraient franchir le pas. Mais on ne devrait pas attendre une Coupe du monde pour leur donner le sentiment d’être légitimes, ce devrait être un discours porté par nos politiques et notre société. En fait, parler des origines de quelqu’un n’est pas un problème, tant qu’on ne l’enferme pas dedans. Jusqu’à preuve du contraire, chacun de nous en a, alors pourquoi ne pas aborder le sujet ? Parce que ce sont toujours les mêmes qu’on renvoie à leurs origines. Parce qu’on ne parle pas de celles de Lloris, Griezmann, Hernandez, Pavard. Parce qu’en fait, c’est de couleur de peau dont il s’agit. Ce n’est pas anodin que certains pays désignent les joueurs d’origine africaine. Le message est simple : on ne peut pas être noir et européen, puisque les Noirs sont africains. Et il y aurait trop de Noirs dans l’équipe de France. À ce discours-là, la FFF oppose que tous les joueurs sont Français. Bien sûr, évidemment, sinon ils ne pourraient pas jouer en équipe de France ! Ne faudrait-il pas dire, assumer, que la force de notre pays, de notre football, tient à ce que nous avons tous des origines, des couleurs, des religions différentes… Dire que là est notre fierté, que nous sommes fiers de cela. Et voilà pourquoi nous sommes champions du monde. » [1]

Mais, ce qu’il ne dit pas, c’est que dès que l’équipe de France perd, c’est la faute des « bamboulas », des « bougnoules »… Les insultes racistes, les cris de singe, les bananes lancées sur le terrain, le foot en est plutôt familier et une bonne partie des habitués des tribunes penche sans aucun doute vers l’expulsion de tout ce qui est un peu trop bronzé à ses yeux. Les « Nègres », passe encore, quand ils donnent la victoire à leur équipe, mais sinon…
Sinon, ça peut se finir en quasi-lynchage, comme lors du match de D3 entre l’AS Benfeld et l’AS Mackenheim le 6 mai dernier. Deux joueurs et les supporters de l’AS Mackenheim, dont l’un armé d’un couteau de cuisine, s’en prennent en fin de rencontre à deux joueurs noirs de l’AS Benfeld. L’un des joueurs noirs est littéralement massacré, triple facture du visage, traumatisme crânien. Quand les autorités locales du foot ont eu à juger l’affaire, écartant d’un revers de main l’idée que le racisme puisse être à l’origine des faits, elle a condamné les quatre joueurs et, donc, les deux victimes au même titre que les deux agresseurs à 10 matchs de suspension [2]. Circulez, y a rien à voir !
Des affaires de ce genre, en moins grave toutefois, il y en a sans aucun doute pratiquement tous les week-ends. « On a gagné ! On est les champions ! » Merci bien !

Donc, pour revenir à mes vacances, dès début juillet, j’ai eu la vie pourrie. Un truc qui, malgré tout, m’a fait rigoler, c’est que le Micron 1er : il se voyait déjà, comme Chichi en 98, la cote de popularité explosée. Manque de bol, les exactions de son pote Alexandre sortent dans la presse juste à ce moment-là, après le sacre des Bleus, chez le copain Poutine (il faut dire que, lui, c’est pas la presse qui viendrait lui chercher des poux dans la tête, parce qu’un de ses potes est allé casser du manifestant, au contraire, il aurait et promotion et honneurs, comme quoi les démocratures, ça a du bon.) Patatras ! Raté, l’effet de com qu’il avait sans doute mûrement préparé, le Micron !
Après ça, l’été s’est traîné cahin-caha entre canicule, ennui et petites affaires jusqu’à la rentrée littéraire, enfin la rentrée des bonnes affaires de la très grosse petite maison prestigieuse et courageuse dirigée par le mari de notre bonne ministre de la Culture. Que l’on puisse s’étonner des casseroles que traîne Actes Sud a tout de même de quoi surprendre : après tout, une maison d’édition, surtout lorsqu’elle commence à ne plus être une petite maison d’édition - près de 68 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, pour Actes Sud seul, car la maison a des participations souvent majoritaires dans une douzaine d’autres maisons, comme Payot Rivages, Les Liens qui libèrent, etc. - après tout une grosse maison d’édition, donc, c’est avant tout une entreprise qui cherche à faire du fric. Et que l’on remarque avec stupeur que faire du fric, même dans la culture, c’est souvent s’affranchir des règles, c’est bien ça qui est surprenant. Et quand, des bobos gogos cherchent encore à défendre « la petite maison d’édition indépendante », je me dis que certains amateurs de littérature ne valent en fin de compte pas mieux que les supporters de foot.
La belle légende de la petite maison d’édition indépendante, c’est beau non ? Presque autant que la « sobriété heureuse », bel oxymore, facile à réaliser quand ce sont les autres qui bossent, comme chez Rabhi. Rabhi, par ailleurs auteur d’Éloge du génie créateur de la société civile, ouvrage publié par… Actes Sud ! Macronien avant l’heure, Rabhi ! Du léchage de bottes de son éditrice par anticipation, il est fort le Rabhi ! Franchement, les Nyssen, s’ils avaient pu gagner du fric avec du PQ, ils l’auraient fait, bien que faire du fric avec des livres, de la culture, ça offre quand même un autre statut social, ça la fout mieux dans les dîners mondains, même si certains des bouquins en question sont tout juste bons à lire aux chiottes. Mais, en plus, pour en jeter, ils ont fondé aussi une école Steiner, les Nyssen-Capitani. Les bobos allumés New Age doivent apprécier.
Allez, bonne rentrée tout de même !

Article paru dans RésisteR ! #57, le 22 septembre 2018


Notes

[1Interview de Lilian Thuram, Libération du 27 juillet 2018.

[2Cf. l’article « Racisme dans le foot en Alsace », Libération, 24 août 2018.