Entretien avec une ministre

Nancy (54) |

Les témoignages de deux enseignant∙es-chercheur∙es suite à la visite de Frédérique Vidal à Nancy. Où il est question d’étudiant∙es étranger∙es, de carrés rouges protestataires et de mensonges ministériels.

Vendredi 5 avril 2019 avait lieu à Nancy l’inauguration de l’Institut Jean Lamour. Madame Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation était en visite à Nancy à cette occasion (voir un article de L’Est républicain et un autre sur un blog de Mediapart).

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Faisant écho au plan gouvernemental « Bienvenue en France », un plan « Bienvenue à Nancy » avait été organisé pour sa venue : des étudiant∙es et des personnels universitaires étaient présent∙es pour manifester leur opposition à l’augmentation annoncée des frais d’inscription pour les étudiant∙es étranger∙es hors Union européenne (de 170 à 2770 euros pour une année de Licence, de 243 à 3770 euros pour une année de Master). La ministre a donc croisé ce jour-là de nombreuses personnes arborant un carré rouge – symbole de cette opposition – et a été interpellée sur ce sujet à plusieurs reprises.

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La ministre, le président de l’université, et le directeur du laboratoire inauguré arborant un carré rouge

Une entrevue d’une demi-heure avec la ministre, répétant être venue parler d’autre chose, a ainsi a été spontanément proposée à des représentant∙es du collectif QSFSP (constitué de personnels et d’étudiant∙es de l’Université de Lorraine), qui lutte contre l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant∙es extra-communautaires. La présidente de l’UNEF Lorraine et le doyen de la Faculté des Sciences et Technologies, mobilisé depuis plusieurs mois sur la question, accompagnaient le collectif, qui a rencontré Pierre Mutzenhardt, président de l’université de Lorraine, et la ministre.

Derrière une communication gouvernementale bien huilée (redistribution sociale, meilleur accueil des étrangers, stabilité du nombre de candidatures sur Campus France...) servie par une logorrhée ministérielle implacable, se dessine un projet de société clair et cohérent.

« On se rassure » ainsi devant la possibilité que les universités auront de choisir les formations qu’elles veulent soutenir malgré leur affaiblissement consécutif à cette réforme en exonérant par exemple les étudiant∙es choisissant un Master que l’on souhaite ne pas voir fermer.

« On apprend » par ailleurs que les universités françaises ne manquent pas d’argent et Madame la ministre explique comment financer certaines formations grâce à la création de licences professionnelles qui permettent de récupérer de la taxe d’apprentissage.

« On comprend » que l’Université accueille trop d’étudiant∙es. Le taux d’échec en première année serait expliqué par un attrait irraisonné de trop de jeunes pour des études supérieures généralistes. Heureusement, le gouvernement développe l’apprentissage et les formations en alternance, la société n’a pas besoin de tant d’étudiant∙es dans le supérieur...

« On s’étonne » toutefois qu’une telle restructuration de l’enseignement supérieur soit envisagée alors que les chiffres sont bons (puisqu’on vous le dit) et que l’attractivité de la France se trouve renforcée par l’augmentation des frais d’inscription à l’Université.

« On salue » ensuite le civisme de ce gouvernement qui, par peur d’une réaction populiste face à un impôt français finançant des études d’étranger∙es, sollicite un financement par d’autres étranger∙es.

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Lassés de tant de cynisme, on pleure finalement devant l’exaspération ministérielle à l’évocation de ces jeunes lycéens, majoritairement africains et francophones, qui voient leur rêve d’études en France brisé.

Bref, un entretien dont on sort exsangues dans un premier temps... puis regonflé∙es et prêt∙es à se battre ! Ce projet ne doit pas voir le jour ! Il est annoncé pour le 17 avril alors que les chiffres sur lesquels Madame la ministre communique sont mensongers et que les résultats officiels de Campus France montrent clairement une baisse des pré-inscriptions des étudiant∙es étranger∙es en France.

Chers collègues, chers étudiants, chers citoyens, mobilisez-vous !

Signez la pétition dénonçant la manipulation des chiffres de Campus France

Signez la pétition contre l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant∙es étranger∙es !

Non à l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant∙es étranger∙es !

Mais qui est donc le jeune conseiller de la ministre ?

Lors de l’inauguration de l’IJL, Mme la ministre Vidal s’est bien cachée des manifestant∙es mais elle avait amené son conseiller spécial jeunes, un certain Graig Monetti – si vous voulez voir sa photo, c’est ici.

Ce jeune homme a fait la fac de droit à Nice, et s’est engagé dans un club pour promouvoir une école privée "France Maths" : l’année de terminale y coûte par exemple la bagatelle de 8100 €(que l’on peut payer en 10 fois !).

Maintenant vous ne serez pas étonnés qu’il fait à merveille la com’ du dispositif "Bienvenue en France" pour Mme la ministre. Il nous a ainsi expliqué avec aplomb que les chiffres d’inscription sont bien en hausse, depuis peu, et que le rapport flash du parlement, ainsi que nous tous, n’étions pas au courant des "vrais" chiffres !

Mais on connaît maintenant l’origine de ces "vrais" chiffres - c’est une manipulation qui dépasse tout ce que Mme Vidal nous a offert jusque-là.

Pour revenir à Graig, il était quand-même un peu nerveux quand on lui a demandé pourquoi le décret n’était pas sorti fin mars comme annoncé : oui, en effet, il y a eu de petits imprévus - par exemple, disait-il, la Conférence des Présidents d’Université « a trahi sa position : dans le passé, elle était toujours pour l’augmentation des frais d’inscription ; on a été surpris qu’elle ait changé d’avis là ». Comme quoi la mobilisation a déjà payé ! Mais il nous a promis fermement que le gouvernement ferait passer le décret pendant les vacances de Pâques.

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