Contre l’antisémitisme, contre tous les racismes !



L’antiracisme sélectif ne fait pas l’affaire. Une contribution au sujet de la marche contre l’antisémitisme appelée par les partis institutionnels, mardi 19 février 2019.

Les actes antisémites ont augmenté de 74% en France en 2018. Même si cette hausse n’est relative qu’à l’année 2017 et qu’on est loin des chiffres de 2014 ou 2015, ce qui doit conduire à la prudence dans l’interprétation des chiffres, la persistance de l’antisémitisme est intolérable. Ces derniers jours, les actes symboliques et visibles se sont multipliés : arbres à la mémoire d’Ilan Halimi sciés, portraits de Simone Veil vandalisés, insultes antisémites contre Alain Finkielkraut. C’est une mauvaise nouvelle, quoique pas très étonnante quand connaît la popularité accrue de Soral, Dieudonné et d’autres sinistres personnages. Cela doit encourager chacune et chacun, mais aussi nos collectifs militants, à redoubler d’efforts dans la lutte contre l’antisémitisme.

Il y a cependant une instrumentalisation abjecte de cette lutte de la part des partis de gouvernement, dont il est d’autant plus urgent de se démarquer qu’elle ne peut qu’encourager les replis identitaires et les racismes, y compris l’antisémitisme.

Cette instrumentalisation est à l’œuvre quand Macron et le gouvernement bondissent sur les débordements médiatisés de certain∙es Gilets Jaunes pour condamner l’ensemble du mouvement. Il ne faut pas minimiser l’expression du complotisme, du racisme et notamment de l’antisémitisme, récurrente dans le mouvement. C’est notamment le fait de l’intervention de groupes fascisants mais pas seulement. C’est aussi un symptôme de la progression des idées réactionnaires dans la société. Mais réduire le soulèvement des Gilets Jaunes à cela, c’est un mensonge éhonté quand on connaît le fond des revendications sociales et démocratiques du mouvement, sans parler des positionnements explicites de différents groupes comme ceux de L’Île-Saint-Denis ou de Commercy.

Cette instrumentalisation est aussi à l’œuvre dans l’assimilation forcenée de l’antisionisme à l’antisémitisme, que l’on voit resurgir avec le projet défendu par plusieurs députés de pénaliser l’antisionisme au même titre que l’antisémitisme. Cette assimilation est un point de convergence entre les antisémites avéré∙es (comme ceux qui ont agressé Finkielkraut), la droite extrême qui gouverne Israël et les supporters inconditionnels de l’État hébreu, qui vise à pousser les Juives et Juifs du monde entier à considérer qu’Israël serait « leur pays »… et que leur place est là-bas. Ces amalgames conduisent ainsi à une résurgence des actes antisémites en France dès que le conflit israélo-palestinien s’aggrave, tout en sommant les personnes juives ou présumées telles de devoir se prononcer sur ce conflit, comme si elles en portaient une part de responsabilité. Même si beaucoup de prétendu∙es « antisionistes » sont des antisémites à peine masqué∙es, on peut, aujourd’hui encore, être juif et antisioniste, et être antisioniste sans être antisémite.

Cette instrumentalisation est à l’œuvre, encore, dans l’appel d’une vingtaine de partis à manifester contre l’antisémitisme ce mardi 19 février. On ne va pas critiquer ici les personnes qui vont, à titre individuel ou collectif, par peur ou par dégoût de l’antisémitisme, participer à ces rassemblements et manifestations. Mais l’unanimisme qui va du PCF aux Républicains en passant par le PS et LREM est tout de même suspect, quand on sait que les partis de droite et nombre de dirigeants de gauche sont tout à fait capables de jouer sur le rejet des migrant∙es, sur le racisme contre les Roms, anti-arabe ou antimusulman… Alors ces gens-là seraient choqués par l’antisémitisme ? Certainement pour partie d’entre eux, mais c’est au mieux un antiracisme sélectif.

Combattre l’antisémitisme sans dénoncer tous les racismes, c’est prendre le risque de s’allier à d’autres racistes. C’est d’ailleurs finalement assumé par Olivier Faure (PS), quand il estime que si le RN (ex-FN) est trop lié historiquement à l’antisémitisme pour pouvoir participer, Marine Le Pen est en revanche « bienvenue » à la marche du 19 février [1]. Il y a un défaut exactement symétrique dans les campagnes ou manifestations contre l’islamophobie qui, en fermant les yeux sur l’antisémitisme, en viennent à intégrer des islamistes et d’autres antisémites. Le combat contre l’antisémitisme qui ne dénonce pas tous les racismes, comme le combat contre l’islamophobie qui ne dénonce pas tous les racismes, ce sont des combats qui hiérarchisent les haines et ne peuvent que renforcer les replis identitaires. Le combat antiraciste ne se divise pas. L’appel de plusieurs organisations « contre les actes antisémites, contre leur instrumentalisation, pour le combat contre toutes les formes de racisme » est ainsi bienvenu [2], face à une initiative des partis institutionnels qui pue la récupération et qui ne peut que renforcer le préjugé que les Juifs et Juives auraient droit à un traitement à part.

Léo P.


Notes

[1Il est toutefois surprenant de voir que le parti politique « Résistons ! » participe officiellement à cette initiative, alors même que les fréquentations de son président, Jean Lassalle, sont pour le moins ambiguës.

[2Même si on s’étonne de voir le Parti des Indigènes de la République (PIR) parmi les signataires… quand sa présidente Houria Bouteldja s’est plutôt signalée pour son antisémitisme à peine voilé.