Le travail, qu’El Khonnerie !



La loi « El Khomri » ainsi que la « renégociation » de l’assurance chômage sont les dernières cerises sur le gâteau offert par nos « socialistes » de gouvernants au Medef, gâteau qui n’a cessé de croître depuis 2012. Après l’ANI, le CICE, les accord compétitivité-emploi, la loi Macron, etc., il s’agit d’enfoncer définitivement le clou et de faire comprendre aux salariés que bosser, c’est s’incliner devant les desiderata des patrons : « Oui, not’ Monsieur. Oui not’ bon maître. » Mais, pour ceux qui ne le savent pas encore, Jaurès est tout-à-fait mort.

Le gouvernement a bien fait quelques reculades pour contenter ces éternels alliés du patronat que sont les « syndicats » réformistes, CFDT en tête ; mais sur le fond les attaques contre le Code du travail restent intactes. En particulier, le principe de faveur, qui permettait de déroger à la hiérarchie des normes, ce principe, qui pose que « lorsque deux normes sont applicables à une même relation de travail, il faut retenir la plus favorables aux salariés »*, sera inversé, à savoir il sera possible par convention collective ou accord d’entreprise d’imposer une norme plus défavorable aux salariés... Dans la pratique le chantage à l’emploi fera peser une pression telle sur les salariés qu’ils accepteront les exigences en termes de temps de travail et de rémunération des patrons. Ce qui s’était passé chez Smart en octobre de l’an dernier où par référendum d’entreprise (autre nouveauté que veut instituer la loi « El Khomri ») les salariés avaient accepté de bosser 39 heures payées 37, risque fort de devenir la règle.

Il faut bien sûr exiger le retrait total de cette loi, mais il faudrait aussi revenir sur les lois antérieures qui préparaient la casse définitive du Code du travail. Néanmoins, je suis quelque peu mal à l’aise avec certaines des revendications des opposants à cette loi. En effet, réclamer du travail pour tous ou un vrai travail pour les jeunes me semble assez peu compatible avec un objectif de sortie du capitalisme. Ce qu’il faut, c’est en finir avec le travail !

Le « travail » au sens strict du terme est intrinsèquement lié au capitalisme. C’est le travail, sous sa forme de surtravail qui génère le profit, c’est lui qui sert d’étalon à la valeur, etc. En finir avec le travail, c’est-à-dire avec ce mode d’exploitation, c’est en finir avec le capitalisme. Il est intéressant de noter que l’usage du terme « travail » dans son sens actuel, apparaît en même temps que les premières manufactures. Et c’est à la même époque, vers le XVIe siècle, que la paresse devient un péché capital, auparavant c’était l’acédie qui occupait sa place. Cette sorte de mélancolie, de tristesse ou de désespoir, s’attache plus particulièrement aux moines ou aux ermites qui, dans leur solitude, peuvent en venir à négliger leurs exercices spirituels. Si l’acédie est de ce fait liée à une négligence des devoirs, il ne s’agit que de devoirs religieux. Avec la paresse, c’est une négligence vis-à-vis de la vie économique, de la capacité productive de l’homme qui est stigmatisée. Le travail devient alors synonyme de vertu. Et même parmi les exploités par le travail, cette « vertu » est défendue ; il n’y a qu’à voir comment les populistes de tous bords n’arrêtent pas de glorifier ceux qui se lèvent tôt... Et comment bon nombre d’entre ces exploités troquent la pointeuse contre le chronomètre ou le compteur kilométrique lorsqu’ils font leur jogging ou partent en vacances. Supprimer le travail, ce n’est pas uniquement supprimer l’exploitation de la force de travail, c’est aussi réapprendre à ne rien faire, réapprendre la lenteur.

Il faut admettre qu’il n’y a plus de travail pour tous et ce n’est pas en passant à la semaine de 32 heures, comme certains le proposent, que cela changera grand chose. De plus, la semaine de 32 heures, c’est quand même un peu ringard, quand on sait que Lafargue en 1880 dans son célèbre, mais apparemment trop peu lu, Droit à la paresse, réfutation du droit au travail de 1848, réclamait la journée de 3 heures, c’est-à-dire la semaine de 18 heures, puisqu’alors on travaillait le samedi. Bertrand Russell en 1919, dans son Éloge de l’oisiveté, se contentait d’exiger la journée de 4 heures... Mais surtout, partager le travail de quelque manière que cela se fasse ne résout en rien le problème fondamental qu’est l’exploitation liée au travail.

Dans ce sens, des idées apparemment généreuses, comme le salaire à vie ou le revenu inconditionnel d’existence sont de simples fausses bonnes solutions. Ces dispositifs permettraient de contenir dans une sous-existence d’assistés, les exclus du travail. D’ailleurs, même certains ultra-libéraux en viennent à trouver l’idée pas si mauvaise. Supprimer le travail, c’est aussi supprimer l’instrument du travail, à savoir la propriété des moyens de production. Mais il ne peut s’agir de transférer purement et simplement les moyens de productions aux travailleurs et de perpétuer le même mode d’exploitation : l’autogestion n’a aucun sens si le travailleur devient son propre patron et s’astreint aux mêmes règles de productivité et de rentabilité que lorsqu’il était salarié. Supprimer le travail, cela devrait nous forcer à définir les tâches, les productions réellement utiles, et une grande partie du travail et de la production est socialement inutile. D’ailleurs, la machine industrielle capitaliste préfère affronter des crises récurrentes de surproduction, plutôt que de limiter le travail et la production. Il est vrai que le capitalisme a, pour éviter partiellement ces crises de surproduction, inventé une parade assez subtile : la surconsommation. Grâce aux efforts de publicitaires et d’inventeurs de gadgets en tout genre, emplois totalement inutiles, soit dit en passant, la machine productiviste tourne à plein régime. Grâce à la transformation des travailleurs en petits propriétaires, chacun veut qui sa voiture, qui sa tondeuse, et tous leurs téléphones portables.

Décider des tâches utiles et de leur partage implique enfin l’instauration d’un véritable mode de prise de décision collectif, je n’ose employer le mot de « démocratie », passé en trop de mauvaises mains. C’est au niveau local, celui des quartiers, des villages que pourrait et devrait se prendre l’ensemble de ces décisions.

Sortir du travail, nous permettrait de sortir d’un mode de production et d’une organisation sociale qui détruisent nos vies et notre planète.

Grève générale permanente !

Bas coup

* une convention collective ou un accord d’entreprise peut ainsi être plus favorable aux salariés, en termes de temps de travail par exemple, que les lois ou règlements en vigueur.

[Paru dans RésisteR ! #41, mars 2016]